Victoria Line (T1 de Thistly Heart)

Chapitre 30

Dimanche, 23 avril 2017

Je frotte d'un geste énervé le zinc du bar, mais je ne peux m'empêcher de regarder dans sa direction.

Qu'est-ce qu'il n'a pas compris dans « non » ?

Il m'adresse un sourire et un signe de la main que j'ignore.

Je déteste ce genre d'hommes sûrs d'eux. Ceux qui croient pouvoir charmer quiconque avec un clin d'œil. Ceux qui s'obstinent malgré un refus. Ceux qui entreprennent sans recevoir une invitation.

Je m'acharne sur le zinc qui brille déjà. Sa surface réfléchissante me renvoie le reflet d'une fille furieuse contre son mec. Pathétique. Ridicule. Inadmissible !

— Je pense que c'est propre, se moque Lola, une sucette coincée entre ses lèvres.

Je lui tire la langue et lui demande si elle veut encore un verre, mais elle secoue la tête.

— Je dois y aller. Mes parents m'attendent pour le dîner.

Elle range ses affaires après avoir payé sa consommation. Aujourd'hui, elle ressemble à une diva des années 20. Il ne lui manque qu'un fume-cigarette au coin des lèvres pour la croire sortie des Années folles. Des barrettes plates retiennent ses cheveux en un chignon romantique, tandis qu'elle porte un rouge à lèvres lie de vin.

Elle pose un baiser bruyant sur ma joue et dit au revoir à Harry avant de... se diriger vers Chris !

Que fait-elle ?

Impuissante, j'observe la scène. Elle échange quelques mots avec l'homme de la Victoria Line, lui serre la main et part comme de rien n'était.

Je croise le regard électrisant de Chris. Il me défie de le soutenir, mais le pari est perdu d'avance. Je romps le contact visuel, me remémorant le conseil de Lawinski.

Pas de distraction. En d'autres termes : pas de Chris.

Harry me demande et j'accours aussitôt, le plateau en main.

Baissé sur les enceintes, il se charge de brancher la sono. Ce soir, c'est soirée karaoké ! Youpi ! Notez l'ironie.

— Tu veux bien aller servir ton nouvel amant ?

— Hein ? Je ne suis pas sa maîtresse. Arrête de débiter des conneries, rétorqué-je avant de m'enfuir.

Je m'arrête à la table de Barry et Jack. Leurs verres sont déjà vides. Selon eux, ils devaient fêter leur retour de l'hosto. Le moustachu n'arbore désormais plus à l'arcade des points de suture. Il n'aurait pas bronché quand l'infirmière a saisi le nœud du fil.

— Me reste plus que ce fichu plâtre ! se plaint Jack, le bras dressé en l'air.

— Encore quelques semaines, et tu en seras bientôt débarrassé.

— Bientôt, bientôt... maugrée-t-il, le poil hérissé. C'est pas toi qui vas aux toilettes avec une main valide. Je te raconte pas combien c'est compliqué de pisser à l'urinoir tout en...

— Je t'arrête tout de suite, Jack ! lui coupé-je la parole. Je n'ai pas envie de connaître les détails de ton intimité.

Barry se bidonne, alors que j'affiche une grimace de dégoût.

Les deux piliers de comptoir n'ont vraiment aucune limite. Ils apprécient particulièrement me mettre mal à l'aise.

— Jooo, me gronde mon patron dès qu'il me rejoint derrière le bar.

— Harry.

Il me retient avant que je ne lui échappe une énième fois. Sa paume empoigne si fermement mon poignet que je manque de renverser la deuxième tournée de Barry et Jack. Le plateau dans ma main droite vacille alors que les consommations débordent un peu.