L'Ombre arrête la voiture. Elle observe les rues: La couleur de la vie lui coule dans les yeux, palette renversée dans l'âme !
Bleu et vert et rose et rire.
Partout, de la beauté. Solène comprend, soudain, que le monde n'est pas qu'horreur et rage.
La buée de son souffle alors vient se blottir sur la vitre – Une brume qu'on pourrait croire portant la forme d'un sourire. Étrange, n'est-ce pas ? Les brumes ne sourient pas, et les Ombres non plus. Peut-être que le monde change –:
« Lili ? »Brume. Brume. Brume écrasée sur la fenêtre, sans laisser à l'Ange le temps de sursauter :
« Tu crois que les sourires ici sont vrais ? »Solène observe ses mots se graver dans l'hiver et les traits de Lili. Cet Ange aux lèvres craquelées, qui a embrassé trop fort l'hiver :
« Pardon ?
— Je voulais dire... les gens. Qui rient. Dehors. Est-ce qu'ils mentent ?
— Tu... Certains, sûrement, oui... Mais la majorité sourit depuis son cœur, je crois. Pourquoi, Solène ?
— Parce que la vie me paraît agréable. C'est louche. Je voulais savoir si ce n'était que mensonge.
— Malheur ! Désespoir ! Peut-être que tu commences à être à peine heureuse ! L'apocalypse est à nos portes !
— Tant d'exagération. La mesure ne te dit rien, je suppose ? La modération, non ?
— Jamais entendu parler. Je dois manquer de culture.
— Tout à fait. Je pense aussi. Tout le problème est là. »Juste un instant, vif autant qu'un songe mort, les yeux de l'Ombre tombent, derrière, sur la maison de Marie, sur la prison de fantômes. Le monde s'assombrit, un peu. L'univers éclairé tremble.
Puis Solène sent des plumes contre le haut de sa joue, ramenant son regard sur les rues pleines de Beau. Des doigts en plumes d'Ange ont cassé les chaînes de l'intérêt morbide.
L'amie – amie, vraiment ? – porte une moue sérieuse et des yeux attendris :
« Solène. Tu décides où regarder. Tout dépend de toi. Tu décides où regarder, d'accord ? Regarde vers la vie. Pas derrière.
— Oui. D'accord. Quelle autorité. On me menace pour devenir positive. »On toque, soudain. L'Ombre sursaute. Le sourire de l'Ange tombe. Ces trois petits coups ont brisé l'ambiance comme un lac en glace. CRAC. Derrière la fenêtre embrumée, sont déjà repérés le képi bleu et l'orgueil clair et les toute la fierté des Paons.
Voilà qui clos le rêve, adieu le paradis, Solène songe. Voilà l'enfer qui revient traîner ses bêtes entre mes pas, Solène sait. Tout ce qui était oublié revient en hurlant dans ma tête. Le trou dans le crâne ! Le feu et le Cadavre ! Et la musique qui résonne encore dans mes nuits. Je me prends mille baffes en mains de réalité. Bienvenue Monsieur le Policier !
La vitre descend en crissant de ses dents de givre. Le visage du Paon apparaît souriant :
« Navré d'interrompre.
— Navrée que tu interrompes.
— Je savais que ma présence te remplirait de joie. »L'Ombre renifle en sifflant son sarcasme – Cette fois pas de brume. Il faut croire que Solène a retrouvé son souffle mort ! – :
« Officier Dumont, le grand retour. Si je m'y attendais. La surprise me terrasse.
— Solène, je ne suis pas payé pour gérer ton ironie. Même si cet échange est très plaisant, je suis simplement chargé de te dire que ce n'est pas l'enfant.
— Pardon ? »Puis le Paon crache ses mots d'acier – De brutaux petits coups de becs enfoncés dans l'esprit de Solène. Tac Tac Tac. Ils s'embourbent d'ailleurs là-bas. – :
« Le coupable. L'assassin. Ce n'est pas l'enfant. »Le silence, un instant, rempli d'images qui reviennent – enfants dans le feu qui dansent « Fondue Maman ! FONDUE ! » –. Puis un rire – un des mauvais, mauvais rires – :
« Mes félicitations ! Tu as réussi à rendre ton commissaire moins stupide ? Admirable. »
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La Silencieuse
Romance"Ils disent que c'est un meurtre." La tasse entre les doigts resserrés de Lili tremble comme un volcan. Et le rire de Solène s'étrangle dans l'air chaud. Mais tout va bien, toujours. (Solène est terrifiée. Du meurtrier, oui ! des ombres, aussi... m...