Chapitre Dixième - Ou la Lumière (3)

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Pas de témoins. Je serai seule, avec un présumé assassin. A sa merci, quelle aventure, songe Solène platement. A personne, personne, elle n'a parlé de sa visite. Lili l'aurait interdite. Le Bill aussi, sûrement. Et le Paon l'aurait joyeusement encouragée, ç'aurait été vexant.

Sous ses poings la porte pivote, alors qu'elle allait y cogner. Apparaît à sa place un Lechauvin-soleil, radieux :
« Solène, fantastique ! Entrez, je vous en prie ! »

D'un talon bondissant, l'homme fait demi-tour pour écarter les bras – un bras et demi, pour être précis – :
« Et voilà l'Atelier ! Le foyer du génie.
— L'ego ne s'arrange pas.
— L'amabilité non plus. »

L'échange suinte la jeunesse. On croirait deux enfants qui se jettent des mots pour faire comme les grands.

C'est ça, comme les grands, ricane l'Ombre acerbe, on tisse des liens pour y piéger nos proies. Comme les grands on s'aime haut et fort, on se méfie en silence.

L'artiste la guide dans une pièce close, aux rideaux tirés, aux ampoules claires ! Un chevalet trône, grand. Le peintre tourne sur lui-même :
« Alors ? Qu'est-ce que vous en pensez, Solène ?
— Le paillasson brodé et l'odeur de lavande ? Un vrai repaire de bandit. »

Pour le moment, c'est bien, s'applaudirait Solène. L'interaction sociale se déroule à merveille. Se déroule, déjà. C'est presque une première ! Sans compter une fois où cet enfant bizarre m'avait pris pour la réincarnation de son chien. Il m'avait appelé Kiki, m'avait suivie jusqu'à chez moi. Apparemment, j'avais le même nez.

« Un bandit. Tout à fait. Je me sais menaçant. »

Tout à coup, les yeux de Lechauvin s'allument – reflets des lumières ou folie intérieure... le mystère reste entier – :
« Déshabillez-vous.
— Efficace, Lechauvin.
— Eliott.
— Lechauvin. Je serais déjà nue. Pas tant d'intimité. »

Ce n'est pas la raison, Solène s'intime. Bien sûr. Je ne suis jamais nue vraiment, je m'habille de mes murs et de mes carapaces ! Mais cet artiste ardent m'est un peu sympathique... Trop sympathique. Il est peut-être innocent, pourtant peut-être coupable, alors j'en reste loin comme les nantis des impôts.

Tue, l'Ombre se dénude. Retire un haut pour laisser place à sa peau brune – Pas de soutien-gorge. –, découvre lentement ses jambes. Finalement, avec un petit geste brusque, dérobe à ses hanches le dernier morceau de tissu.

Nue.

La lumière drape l'artiste amusé et l'amazone halée. Ils s'observent, muets. La bataille est silencieuse – Ose juger mon corps, crie le regard de Solène. Ose réagir comme le monde te l'apprend. –. On croirait deux fauves qui se gonflent et s'enflent et se défient des yeux, puis... :
« Ça ne vous plaît pas ? J'ai des poils et des cicatrices et mes cuisses se touchent et mes seins sont petits. Ça vous pose un problème ?
— C'est parfait, Solène. Parfait. »

Il sourit, et l'Ombre pense qu'il faudrait que ce peintre cesse de répondre justement, parce que plus fort désormais elle voudrait en faire son ami – mais que dans sa tête hurle un Ange Tu as oublié ce qui tâche sa main ? –.

L'homme dit :
« Mettez-vous là. »

Installant ses pinceaux, ses nuances, sa toile – Alors que tout en lui émane le contrôle. Plus d'enfant, ici. Un maître. –, il continue :
« Je veux, sur mes tableaux, les humains tels que les humains sont. Tels qu'ils se sentent humains. Epilés ou non, maquillés, ronds, souriants, peu importe, peu importe. Je me fiche de la manière dont ils existent. Ils sont beaux. C'est parfait, Solène. Vraiment. »

Je ne me sens pas nue, songe l'infiltrée. Ce peintre a les yeux pleins d'estime. Pas de fièvre, pas de feu, seulement une curiosité tranquille. C'est important, je crois. Le respect, oui, surtout, notion intéressante ! Peu de femmes y ont droit. Après tout, elles ne sont que femmes !

La SilencieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant