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L'Ange est mort.

Je suis hantée par tes rires. Je me souviens de tes doigts qui m'appellent, perdus, ensanglantés – NE ME LAISSE PAS –, mais je ne peux pas ! Incapable d'approcher, pauvre enchaînée ! Pathétique, pathétique, désolée. Mon dos hurle, comme tes yeux – tes yeux-forêts –. Je suis coincée, Lili, dans cet instant où mon cœur cogne et le tien cesse.

Je me souviens du sang dans les rides du vieux Bill, qui masse ta poitrine. J'entends claquer une côte – CRAC –. Ton buste refuse de bouger seul, cent fois je crois qu'il enfle ! mais ce n'est que du souffle artificiel, né d'autres poumons. Rien, rien, RIEN ! Le temps ose passer, sans toi, sans les coups de ton cœur ! Tic tac infernal, et les bourdons, et les plocs, et tous les bruits du monde... sauf celui dont j'ai besoin ! – celui qui fait vivre, toi et moi et la tendresse et la famille et les larmes et les pardons et les amours et les sourires – Sur les mains fripées semblent se baser tous les cœurs du monde, tu sais. Un deux trois. Un deux trois. Je crois que je prie Vis Lili Lili vis ! Un deux trois. Et tu ne vis pas. – Je t'en prie cesse d'être blanchemortepâle et VIS ! –

Je sais que mes chaînes ne se casseront pas, pourtant je tente, encore, encore, je sens mes poignets s'écorcher, mon dos flamber, mes pleurs fumer, pour m'approcher de TOI l'immobile ! Je me brise pour t'atteindre. Je ne t'atteins pas. Tes yeux clos me fixent. Il y a du sang dans ton sourire.

Mon Ange... pourquoi sourire à la Mort ?

Un sifflement. Des pas qui BAM. Des femmes et hommes rouges envahissent la pièce. Des bleus les suivent. Ils clignotent comme les lumières des Noëls que nous n'aurons pas. Je crois que j'hurle. Ils me détachent, je bondis vers toi, vers toi ! mais ils m'arrêtent NON !

Je griffe, je cogne, ils me disent de me calmer mais est-ce qu'ils ne voient pas que tu crèves et que je t'aime ? Je les observe t'emporter, comme si tu ne pesais rien, comme tu n'avais pas le poids du monde dans tes doigts ! Sur le brancard, mon Ange, tu parais minuscule... moi je sais, pourtant à quel point tu es grande ! Quelque chose s'empêtre dans mon souffle – le deuil le deuil le deuil –. Mon cœur s'est éclaté, frappe dans toutes mes veines – j'explose –, il veut compenser le tien mais ne peut pas ne peut rien faire inutile inutile !

Dans la poussière de tes ailes et le sang de nos rêves, je gis. Deux bleus me posent des questions. Je n'ai qu'un mot, et c'est ton nom. Lili Lili Lili Lili Lili. Ils disent que ce n'est pas assez. SI ! Moi je sais ! C'est assez. Lili Lili Lili Lili. C'est Tout. Ils ne m'écoutent pas. L'univers qu'on m'arrache Lili Lili Lili Lili Lili.

Mon Ange, je suis un animal.

Ils emportent, le Paon, aussi, ils vous emportent TOUS et moi je suis seule toute seule. Il s'est réveillé. C'est étrange. Il a perdu ses murailles. Ça ne lui va pas. Il a l'air triste. Il ne dit rien, m'observe, puis disparaît dans cette saloperie de porte qui avale ceux qui comptent. Une voix me souffle « Gabie est avec Alexandre. Lili s'en sortira. Tout ira bien, gamine. Je te promets. ». C'est le vieux Bill le traître le père le sauveur qui arrive trop tard trop tard il y a déjà ton sang oh tout ce sang...

« Tout ira bien, gamine. »

Tout ira bien.

J'éclate de rire !
Le bleu d'à côté me regarde, étrangement – deux grands yeux flous verts sûrs qui ne sont pas tes yeux-forêts –.
Je comprends que j'ai mugi.

... Est-ce que je ne sais plus rire ?

Alors ils emmènent Lechauvin. Un filet de sang engluant son menton, il crache, visiblement vivant – Mort depuis toujours. Faisandé ! – :
« Je n'ai rien fait ! C'est elle, c'est elle, non ! »

Il pleure – non ce n'est que sa bave de porc qui lui coule des yeux –. Ensuite je crois que je tombe.

Quand je me réveille il y a de la lumière – je ne veux pas de lumière je veux mon Ange rendez-moi l'avenir –. Buste bandé, poignet plâtré, tripes implosées. Des gens blancs m'entourent. Ridicules ! Ils me réparent et me cousent comme si le verre n'était pas coincé, là, à l'intérieur, en train de me manger le cœur. L'âme infectée des endeuillées, ils ne savent pas rapiécer ! Les corps... Les corps c'est plus simple, c'est logique, c'est gisant sur un parquet dans le sang main tendue qui reste vide.

J'attrape une main, au hasard. Celle d'un infirmier. Il grimace et je crois que je lui fais mal et je m'en fous, où es-tu ? J'ouvre la bouche mais rien ne sort. J'essaie encore. Encore ! J'arrive à forcer un « Lili » fêlé entre mes lèvres. L'homme comprend. Il me dit des mots, des dizaines,

moi je ne comprends que vivante stable vivante cœur reparti vivante vivante VIVANTE.

Je ris. Tu vois, je sais rire toujours ! L'infirmier me tend un mouchoir, mais je refuse de m'essuyer les yeux. Peur d'arracher de ma paupière l'image de toi. Toi qui vis.

Deux jours plus tard, dans un fauteuil, ils m'amènent dans ta chambre. Tu dors encore. Peu importe. Je vois ta poitrine gonfler. Tu es là. Tu vis. Tous les hôpitaux sentent certes pareil, une sale odeur de je suis désolée nous n'avons rien pu faire, de pourquoi nous ?, de pourquoi eux ?, mais face à toi, Lili, je respire à pleins poumons un air de début du monde.

– Oui, pendant quatre minutes cinquante-quatre secondes, l'Ange est mort. –  

La SilencieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant