Tous les mots qu'elle n'a jamais dits pourrissent sous sa langue.
Merci de m'avoir permis d'adopter Gabie.
Merci.
Merci.
Et pour la confiance, et les conseils, et les sourires.
Merci d'avoir été un peu tout ce qui me manquait.
Merci.Solène observe le feu dévorer le bois. Toujours le feu. Désordonné, il s'enroule autour du cercueil pour mieux le protéger. Ce pauvre fou ne comprend pas qu'il est meurtrier.
J'espère que, là où vous êtes, c'est rempli de morveux qui ont la varicelle et de quinquagénaires anxieux : c'était eux, votre passion. Les Hommes dans toutes leurs failles.
La crémation se termine. Le brasier s'apaise à contrecœur. L'Homme a dompté jusqu'au feu ! Pourtant ses émotions trônent toujours, sauvages. Beau sens des priorités.
Au revoir, Madame Doc.
L'Ombre a soudain l'impression que Chagrin, Peur, Gratitude ont des corps dans son corps – Ils se frappent, s'attaquent, s'éclatent. Dispersés, ils infectent Solène de chaud, de froid, de lumière, de poussière, de bourrasques. Tout le Monde est à l'intérieur. Il n'y a pas la place. Son buste va se fendre ! –. Elle s'agite :
« Bill. Je... dois partir.
— Quoi ?
— Je reviens pour le dîner, je promets ! Je dois partir un peu, juste le temps d'oublier que l'Homme ne sait pas contrôler ce qu'il faut, ce qui fait mal.
— Tu sais, gamine, parfois, j'aimerais bien comprendre quand tu parles.
— Je suis désolée. Je reviens vite. J'ai... »Besoin de remplir ma tête d'art, termine une Ombre muette. C'est inexplicable. Qui comprendrait ? Parfois seule la beauté tue les démons de nos têtes
– les Dumont de nos têtes !
Gabie est mort-née ! –.***
Devant le Lila – tatouages, fierté sûre, cheveux-suie –, l'Ombre oublie.
Elle se noie dans les Fleurs.
En cet instant, l'art est son air. Il désinfecte le monde à grands jets. Il rappelle qu'à l'extérieur ne règnent pas les yeux ouverts au milieu d'une face gonflée mais le beau. Il faut simplement être naïf, un peu.
Soudain, ce calme naissant se déchire, avec l'approche d'une grande vieille qui sourit :
« Pourquoi êtes-vous ici, Mademoiselle ? »La dame paraît empaillée avant l'heure, songe l'Ombre aussitôt. Un noir regard vide, une peau d'or fripé, et ses longs membres qui errent sans but. Un épouvantail en chair et, visiblement, en manque de contact.
Alors Solène, patiente, explique :
« Il n'y a plus de mademoiselle, maintenant, vous savez. Il n'y a plus besoin d'un mariage pour avoir un nom. Le statut des dames n'est plus défini par un homme ! J'existe en tant que femme seule, c'est important. Je suis Madame.
— Moi, je suis ici car mon fils – c'est le Lila – s'est jeté sous un train il y a bientôt six mois.
— Ah. »Ça m'apprendra à prêcher la bonne parole, grince l'Ombre. Pourquoi ce besoin de se confier aux inconnues ? Je ne suis pas certaine d'avoir le profil idéal pour répondre à cette requête, Madame ! J'ai assez de mes propres morts. Merci de passer sur la cible suivante.
Mais l'âgée ne voit pas ces messages si subtiles dans les yeux de Solène, alors, elle poursuit :
« J'avais besoin de le voir, vous comprenez. »Non. Je ne comprends pas, admet l'Ombre muette. Pourquoi s'acharner sur des images qui nous brûlent les yeux ? Autant se désinfecter l'âme à la javel. Ce serait plus supportable.
« Vous avez des enfants ?
— J'ai... Oui. Une fille. »
Amère, elle termine dans sa tête : Qui est aussi la fille de Lili, je suppose, et de Marie, et d'une autre mère supposée biologique. Disons que ses gènes sont un peu confus. Comme moi ! Quelle coïncidence.
VOUS LISEZ
La Silencieuse
Romance"Ils disent que c'est un meurtre." La tasse entre les doigts resserrés de Lili tremble comme un volcan. Et le rire de Solène s'étrangle dans l'air chaud. Mais tout va bien, toujours. (Solène est terrifiée. Du meurtrier, oui ! des ombres, aussi... m...