Chapitre Onzième - Ou le Tout Petit Feu

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Elle approche.

Le large pavillon l'observe avancer dans la nuit. Les fenêtres toisent Solène, une fois, toquant. Deux. Trois. – grands yeux noirs reluisants –.

Un souffle « Putain... Lili, réponds. » que le soir avale aussitôt.

Un hibou chante au loin. L'Ombre n'entend pas – n'entend rien d'autre que son cœur qui cherche à lui briser le buste BOUM –.

Une lumière sous la porte apparaît.
S'éteint.
Revient.

BOUM

Solène recule. Le gravier roule sous son pas.

Elle songe à sa peur – qu'il faut désapprendre, les gosses ! –.

BOUM

Un rire. Répugnant. Larmoyant. L'Ombre le perçoit derrière le seuil – un frisson malvenu se cloue à son échine –.
La poignée tourne.
Un craquement.
Et ce même rire vient lui ouvrir la porte et lui trouer le cœur.
« Le... Le retour de la fleur ! »

Lili raille, applaudit.

Les pensées de l'Ombre s'enraillent. Trop de mots différents se battent entre ses dents pour sortir en premier.

Tableau morbide, songe-t-elle, que cette Ange à l'haleine amère, à la peau tout en cernes, aux pieds incertains. Ivre morte. Plus morte qu'ivre, sûrement.

Sa bouche couve des Pardon putain pardon reviens je suis désolée j'ai menti reste reste reste Lili pardon. Pourtant sa langue sèche articule :
« Lili... Tu as bu ? »

Sans répondre, l'Ange se tourne – L'Ombre s'attendrait presque à voir deux moignons d'ailes sanglants ! Mais rien. Du lin bleu. Décevant. –, avance dans son couloir en clamant :
« Alors, Solène ? Alors ? Quelle fleur notre artiste t'a-t-il attribué ?
— Chrysanthème. » l'autre réplique en suivant. Dans son ventre rôde un poids en angoisse barbelée. Et la saoule, riant :
« La fleur des morts, splendide ! Fantastique ! »

Le salon se dévoile devant elles. Solène ne regarde pas. Solène ne regarde que Lili, bras levés, qui tourne et danse et tombe dans son canapé.

L'Ombre murmure :
« Lili. Pourquoi tu as bu ?
— Qui sait ? Peut-être que j'essaie de noyer l'inquiétude ! Mais qu'elle refuse de crever... Alors, place aux verres. Bien remplis ! ...Réchauffent autant que l'amour ! »

Lili ajoute, plus bas, comme une confidence noire dont l'Ombre ne veut pas :
« Mieux... Mieux vaut une gueule brisée qu'un cœur de bois ! Qu'en penses-tu, Solène ? »

Pas de réponse – légers soucis de communication, par ici –. Solène, silencieuse, avance dans l'air moite – Plus de BOUM. Son cœur est tombé dans ses tripes –. Elle dit :
« Lâche la bouteille. »

Seul un ricanement réplique – humide – :
« Alors, mon Chrysanthème, est-ce qu'il... est-ce qu'il t'a dit que tu étais une belle... belle plante ? »

Est-ce un sanglot ou bien un rire qui siffle entre ses lèvres ? se demande Solène. Une écharde ou un javelot qui m'ouvre la poitrine ?

L'Ange fiévreux continue, les yeux remplis de choses hideuses – larmes – :
« Pourquoi tu suis, gentille, dans les pas de Marie ? Est-ce que tu veux un feu, aussi ? Un tout petit feu, tout mignon, pour faire craquer tes os et éclater tes yeux !
— Lili... »

Les mots de Solène s'emportent dans un mince filet de voix triste, quand en face, en face ! le torrent gonfle et crache, nourrit dans sa vigueur par un souffle erratique :
« Il a un beau sourire, pas vrai ? Lechauvin, il a un sourire beau comme un soleil !
— De quoi tu parles ?
— Si tu continues, non, non, si tu continues à aller voir le monstre, Solène, tu auras ton petit feu ! Je te promets que tu l'auras et que... et que moi ! mes larmes ne seront assez pour éteindre ton corps embrasé. »

La SilencieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant