Chapitre Cinquième - Ou les Mouches (2)

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Il est officiellement vingt heures ! J'ai entendu les cloches ! Ding dong dong ! Et les mouches dansent partout, panique Solène. Leurs ailes font tic et tac et tic. Ding dong dong. Bip bip bip. Il y a tant de mouches...

« Il y a quelqu'un ? Solène ? »
La voix ne perce pas à travers les mouches. Tant de mouches, elle pense, tant de monde flou. C'est à cause des mouches, des mouches mouillées dans mes yeux. Des mouches comme des larmes.

« Solène, tout va bien ?
— Je suis en plein apprentissage de l'optimisme, il faut me laisser du temps. Mon organisme doit se déshabituer des crises existentielles quotidiennes. Tout est dans l'expérience. » Les mots tombent de sa bouche. Ce n'est pas son ton, ce ne sont pas ses phrases ! Mais si, si, tout est elle, mais tout est vide. Tout est vite, vite ! Trop vite pour penser, il faut parler plus que les insectes ne grésillent !

« Solène, Solène. Respire, Solène. Assieds-toi. Je suis là. Je reste là. »

L'Ombre tombe soudain, sent les plis d'un fauteuil fatigué entourer son long corps – corps traître qui a glissé tout seul à l'endroit le plus semblable à une étreinte ! –. Elle dit :
« Lili, il faut faire partir les mouches. »

PAS MA MAMAN !

Solène tressaille, paupières closes. Le canapé penche sous l'arrivée d'une autre, qui sent à la fois Lili l'Ange et Lili l'Inquiétée ! puis des doigts courent, doucement, le long de son épaule – Légers comme des plumes aux tiges de coton. Légers comme des ailes d'ange. De mouche ! Pas ma Maman, jamais ma Maman ! Ne me rappelez pas ! – :
« Solène, respire. Respire... Je suis là. Je reste là. Parfois j'ai du mal à rentrer dans ta tête, tu sais.
— C'est parce que les mouches ont pris toute la place ! Et les Mamans. Et les artistes !
—De quoi tu parles, Solène ? »

De
Pas Maman, jamais Maman ! Je veux Maman, pas toi ! Pas toi, pas toi ! Maman !

De
Vous qui semblez folle ! Ne me rappelez pas. Je vous ferais arrêter !

De
Maman, pas toi

pas toi

pas toi

Une main descend dans la sienne et s'y attache, moite. Une ancre pour mon cœur, frémit Solène, voilà. Je n'ai qu'à mettre toutes mes peurs dans nos poings refermés. Et les abandonner là ! C'est SIMPLE ! Je n'ai qu'à penser tout mon être entre dix doigts. Ceux de l'Ange et ceux de moi. Mais... si Lili disparaît, un morceau de mon âme la suivra dans ses pas. C'est dangereux ! Il ne faut pas. Je vais me perdre dans ma tête, avec un quart de demi-cœur. Il ne faut pas.

« J'ai appelé Lechauvin, Lili. »

Un murmure d'Ange tue soudain les grésillements de mouches :
« Quoi ? »

Puis l'Ombre chuchote – sa gorge est rauque et triste à cause de la tris... NON ! à cause des relents de maladie. Évidemment. Toujours. Saloperie de rhume. – :
« C'est lui, c'est sûr. Gabrielle l'avait vu déjà. Avec sa mère. Sa mère que je ne suis pas, comme elle l'a hurlé. Sa mère qui n'est pas moi. Ce n'est pas grave. Tu peux rentrer chez toi, Lili, pas dans ma tête, chez toi. Je vais bien.» Je t'en supplie ne me crois pas...

Je veux Maman, pas toi ! Pas toi, pas toi ! Maman !

« Je reste, Solène. Evidemment je reste.»

Pas toi. toi. toi. toi.

Lili continue, murmurant, souriante – Pas d'une manière folle, non. D'une manière douce. C'est bien la seule ici. – :
« Je ne sais pas ce qu'elle t'a dit, d'accord ? Mais c'était sûrement faux. Sûrement sous l'émotion. Solène, crois-moi, s'il-te-plaît.
— Non. Je crois que c'était vrai. Vrai comme les choses immondes mais vrai comme les choses vraies. »

La SilencieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant