Chapitre Douzième - Ou l'Epieur (3)

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Les nuits sont amies du silence. L'Ombre croit que la lune ne supporte pas le vacarme des Hommes – moteurs musique mots – !

Oui, dans cette nuit-là, tous les cris sont muets, et seul un rire joyeux soutient les étoiles.

C'est Solène, au milieu de ces rues trop vides.
C'est Solène qui songe aux mots de Lechauvin et à ses yeux complices. Ils sont amis, maintenant, elle croit. Elle sait. C'est bien. Elle est heureuse. Ce n'est certainement pas pour combler l'absence de Lili qu'elle se jette, joyeuse, dans l'affection de l'artiste. Ce serait ridicule, vraiment.

Sursaut.

Son rire meurt.
Il y a quelqu'un, assis sur son porche. Quelqu'un d'imprimé dans sa tête et de gravé – à la force de l'absence – dans son cœur.
C'est un Ange, là-bas, un Ange sortit des ombres comme un démon farceur.

« Lili ? »
L'Ombre ne sait si elle chuchote ou tempête.

L'autre se lève. Solène a l'impression que toutes les lumières des rues la suivent, tandis que l'Ange trébuche jusqu'à elle, et enferme sa main dans la glace des siennes :
« Viens. »

Un instant, l'Ombre laisse son corps suivre la peau de Lili – C'est l'instinct –. Puis, s'arrête. Recule – Peu. Juste suffisamment pour faire s'écarquiller les yeux-forêts –. S'affole :
« Qu'est-ce qui...
— S'il te plaît, viens. » souffle l'autre. Une étoile clignote. Quelque chose dans ses mots fait avancer Solène.

Merde. Je lui fais confiance, aussi, réalise l'Ombre allante. Nous sommes, au moins, folles à deux ! Deux stupides petites dames qui se volent l'une et l'autre leurs armures. Plus de carapaces. Nos vulnérabilités sont dangereuses ! et graves et... belles ? L'humain est fragile, nu. Comme un poupon d'argile... Nous deux sommes si joliment destructibles. Enfin... J'ai retrouvée Lili comme je l'avais quittée ! avec des pas pressés, pupilles hurlantes, et une cible sur le torse. Splendide, putain.

Autours, deux murs s'élèvent, hauts comme des remparts, noirs comme des poitrines de fumeurs. L'urine et le whiskey flottent dans l'air épais.

Il fait noir.

Tout au bout de la ruelle, une lampe grésille. Son cœur électrique bat frénétiquement, jette des lueurs en forme d'assassins sur le crépi brisé.

Solène, tirée au sol – ce sol collant, poisseux, qui donne l'impression de marcher sur un corps – par l'ange démoniaque, l'imite et, accroupie, dissimule son ombre dans l'ombre des remparts :
« Lili ? Qu'est-ce qui te... Que se passe-t-il ?
— Tais-toi. S'il te plaît... je t'en prie. » réclame l'autre. L'Ombre, le nez plein de son odeur – fatigue et tendresse et Lili Lili Lili – se tait seulement le temps de respirer. L'oxygène lui semble pâle. Elle voudrait inspirer les couleurs de l'Ange pendant toutes ses vies.

Mais le devoir l'appelle, et, tête redressée, elle observe la vue – Quatre fenêtres éteintes, un mur de briques, un porche sale. Quelque peu familier. – :
« Pourquoi est-ce que tu me fais espionner ma propre maison ? Je sais qu'elle n'est pas fiable ! la dernière fois le volet m'est resté dans les mains, mais tout de même, tu... »

L'Ombre observe la buée sortir des lèvres de l'Ange en lui coupant la parole :
« Gabrielle est chez Bill, n'est-ce pas ?
— Oui. Elle est toujours chez lui, quand je pose tard. Pourquoi ? »

Ses mots n'heurtent qu'un dos, qui frémit sans parler. Acharnée, Solène siffle :
« Pourquoi ? Lil...
— Tais-toi, s'il te plaît. Il ne doit pas nous entendre. »

L'Ombre croit voir un frisson danser sur l'échine proche – Sûrement, ses yeux la trompent. Son souffle n'a pas le pouvoir d'émouvoir les peaux qu'il frôle ! –. Elle questionne :
« Qui ? »

La SilencieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant