Chapitre Quinzième - Ou la Pensée (3)

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Bras croisés, face au Paon, Solène lève un sourcil amusé :
« Tu t'amuses, n'est-ce pas ? A me traiter comme une suspecte.
— Pas du tout. C'est mon devoir. Tu faisais partie des proches de la victime. Quelle terrible opinion que tu as de moi. C'est bouleversant. »

Il sourit, cependant. Le bout de ses lèvres trahit sa malice :
« Alors, où étais-tu à l'heure du crime ?
— Ici.
— Avec qui ?
— Gabie. Lili. Lechauvin.
— Vous êtes toujours restés ensemble ?
— Non, mon capitaine. Lechauvin n'est arrivé qu'aux environs de... dix heures quinze ?
— Un meurtre en un quart d'heure, c'est court. Faisable. Et Lili ?
— Elle... »

Putain, réalise Solène – qui semble développer une légère tendance à jurer dans sa tête. Il faudrait consulter. –. L'Ange est partie. Pas d'alibi, pour elle. Rien. Elle aurait pu tuer NON ! C'est faux. C'est faux. Elle a promis. Je la crois. C'était il y a mille ans, il y a trois secondes Solène, je suis innocente. Je promets. Juré, juré. Je la crois.

Dans un coin de son crâne, un âgé jamais délogé lui répète que Lili était insistante... Très. Peut-être trop. Lili voulait voir notre artiste à tout prix entre des barreaux. Il meurt quand le Paon clame :
« J'apprécierais la suite de cette phrase.
— Elle est partie quand Lechauvin est arrivé. » crache l'Ombre – et l'Ombre songe Tu n'as pas intérêt à mettre en mots mes craintes !

Mais l'officier, fidèle à lui-même – et visiblement peu sensible aux menaces mentales –, ricane :
« Un meurtre en une heure trois quarts, c'est déjà plus crédible.
— Pardon ?
— Ne fais pas ces gros yeux ! Ils te donneraient presque l'air sympathique. Je ne fais qu'énoncer des faits, je n'accuse pas Lili. Pour une fois que tu rencontres quelqu'un de relativement sensé, j'aimerais éviter de l'enfermer.
— Tu pourrais m'enfermer moi, si tu as vraiment besoin de quelqu'un.
— Heureusement que tu proposes : ça fait des années que j'essaie, mais tu t'obstines à respecter la loi. »

Quittant l'échange taquin, Solène sourdement demande :
« Arthur. Tu... Tu crois que le coupable est un fou ? Un tueur en série ?
— Non. »

La réplique brutale fait sursauter l'Ombre, mais la suite la fait trembler :
« C'est simplement plus facile d'accuser les fous. Pas besoin de s'interroger sur la pourriture de l'Homme. Pas besoin de se demander si nos pères, mères, frères, sœurs sont des assassins. Pas besoin de comprendre que les humains sains d'esprit tuent. En voyant le monstre ailleurs, on ne voit pas le monstre en nous.
— ...Etonnant. Parfois, entre deux insultes, des choses vraies sortent de ta bouche.
— La vie est pleine de surprises. »

Oui, des surprises, pense-t-elle. Marie dans le feu, la Doc' dans l'aspirine. Charmantes découvertes. La joie générale est à son paroxysme !

Dans un soupir l'Ombre donne vie à ses pensées sales – fatales – :
« Oui... J'aimerais que ces surprises soient un peu moins souvent mortes. »

L'autre
ne dit rien.

***

La nuit n'a pas d'œil, ce soir. La lune a laissé place au grand couvercle noir du monde. Si noir – comme l'encre des poèmes qui hurlent –.

Sortant de l'antre du peintre, deux figures plaisantent – artiste et Chrysanthème –.
« Ça fait longtemps que vous ne vous épilez plus ?
— Quelques années. Dès que j'ai compris que mon corps était à moi. En même temps, personne d'autre n'en voulait ! J'ai récupéré l'invendu. »
Espiègles, ils rient, s'observent en coin. Sans lune pour les surveiller, ils sont libres – amis –.
« J'en doute. Dites... vous en voulez aux femmes qui le font ?
— Absolument, évidemment ! Vous voudriez quoi ? Que chacun s'occupe de son propre corps en laissant tranquilles les autres ? Absurde, Lechauvin. Je m'en vais de ce pas harceler chaque femme pour qu'elle adopte ma vision de la beauté ! Attendez... Mince alors. Le patriarcat s'en est déjà chargé. »

En raillant, pourtant, l'Ombre ressasse.

J'ai menti, pour venir, songe-t-elle – serait-ce la culpabilité qui fait rouiller ses rires ? –. J'ai menti à l'Ange. Mais... elle ne supporte pas même l'idée de Lechauvin ! n'a toujours pas compris qu'il n'était que le bouc émissaire du tueur ! Je ne vais pas cesser de vivre, cesser de naître et de poser, parce qu'elle clôt ses yeux face à la vérité. Lili ne tient pas mes fils, n'est-ce pas ? Je suis plus qu'un pantin. J'existe ! Et... Et je mens...

Faisant tressaillir l'Ombre – était-il si proche tout à l'heure ? –, l'artiste souffle :
« Je vous ramène, Solène ? Il est tard.
— Même si l'idée de traverser le village par -4 degrés est fort attrayante ! je dis oui, dans ma folie. Merci.
— Montez. »

Il s'installe. La portière claque. Solène, un instant froid, est seule, debout, dans le soir. Puis la vitre de l'artiste s'abaisse. Un sourire désolé paraît :
« J'ai oublié les clés du portail. Vous voulez bien...
— Être exploitée ? Avec joie. Où sont-elles ?
— Grande commode, je crois. Deuxième tiroir. Ou troisième. Enfin... quelque part dans l'atelier.
— Quel sens du rangement. Si je ne suis pas revenue dans deux jours, appelez les secours.
— J'y penserai. »

Alors le Chrysanthème entre dans l'atelier – Là-bas, tout est noir. Le grand chevalet-fantôme la fait sursauter. Elle le rabroue. Non mais. –.

La lumière l'aveugle, en naissant, comme un soleil d'ampoule grise. Dehors, il pleut.

Puis l'Ombre cherche. Ouvre un tiroir. Un autre. Encore un. Ils grincent tous comme des dents d'horrifiés... Encore
un.

Solène frémit. Solène pense :
Bordel.

Devant elle, la Pensée. Lacérée, poignardée, assassinée.

Devant elle...
Lili. 

*MAIS NAN ! MAIS SI !!! MAIS NANNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNN ! 

Oh si mollo l'asticot là :')

Je vous laisse vraiment sur un cliffhanger, et je culpabilise même pas en plus* 

La SilencieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant