Chapitre Treizième - Ou la Tendresse (2)

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Pas de Lili, pas de Bill, pas de Paon. L'Absence est lourde – canapé vide et rires mort-nés –.

Sur les genoux d'une Ombre usée, Gabrielle s'endort – doucement, si doucement, coinçant dans ses poings un tissu à l'odeur de presque-mère –.

Solène entend germer des murmures dans le silence

Gabrielle riait, magnifique. Ma fille.
Ma fille.
Ma fille.

Ronces funèbres de sa tête, où tout ce qui pousse semble envenimé. Ses doigts inconscients enlacent plus fort l'enfant.

Non ! non... c'est ma fille maintenant. C'est ma fille, n'est-ce pas ? elle n'ose pas interroger le vide. Peu importe, Lechauvin, vous l'aimez, d'accord. D'accord ! aimez-la de toute votre âme d'artiste, de toutes vos ardeurs tristes ! mais ne me la prenez pas. Je vous en prie. Non, non, pas Gabrielle. C'est ma fille, n'est-ce pas ? Votre sang, vos yeux, ma fille.

Ma fille.

On tue le silence assassin, alors ! Gabrielle, assoupie, s'agite dans l'étreinte :
« Solène... Pas si fort. Tu serres.
— Pardon. »
L'Ombre s'excuse violemment, sentant frétiller dans son ventre un monstre au sourire déformé. La peur de l'abandon rôde entre ses os et lui fait cracher encore :
« Je suis désolée. »

De tous les pardon pardon je t'aime reste tu verras ce sera merveilleux mais est-ce ce que tu veux est-ce le mieux qui s'écharpent dans sa tête, Solène ne laisse échapper que :
« Ton Papa, mon cœur.
— Quoi ? »

L'Ombre a lâché ses propres mots qui la visse à l'inévitable ! A l'explication. L'enfant réclame et, dans la femme, une petite chose pathétique frémit, faible, à l'idée d'avouer : le dernier morceau de son cœur mutilé.

Mais Solène n'a pas le choix – A quoi bon arracher seulement la pointe de l'épine ? Le reste s'infecte et gangrène et pourrit ! –, alors elle souffle :
« Ton père. Tu sais... ton papa ? Celui qui a donné la moitié de tes traits.
— Quel papa ? J'ai ma Maman, et j'ai toi, et j'ai Lili, et Arthur, et tonton Bill. »

L'enfant compte sur ses doigts.
Un.
Deux.
Trois.
Quatre.
Cinq.
Ses fins sourcils, enfin, se froncent :
« Je n'ai pas de papa, Solène. »

Dans le petit poing ouvert, l'adulte imagine son âme blottie. Il suffirait de serrer pour la briser BAM ! Les âmes en ancienne glace, une fois réchauffées, deviennent les plus frêles.

Respirant trop fort pour ses poumons trop petits, l'Ombre balbutie :
« Même si le Monsieur a tes yeux ? »

Même s'il souriait, bouche suffisamment large pour avaler ma famille : Et est-ce que vous avez vu ses yeux, Solène, ses yeux ? Ce sont les miens, n'est-ce pas ? ?

Deux pupilles, larges, noires, se fixent sur Solène – embouts de revolver –. Sa vie semble en otage... elle ne pensait pas que ça faisait si mal d'avoir des choses à perdre.

La petite arme demande :
« Le Monsieur, c'est mon Papa ?
— C'est... Oui.
— Ça veut dire que le Monsieur, c'était l'amoureux de ma maman ?
— Je crois bien.
— Est-ce que c'est ma faute, alors ? »

L'Ombre cherche dans sa gorge suffisamment d'air pour parler, en racle les recoins noués :
« De quoi ?
— Que... Que moi je n'ai pas de Papa et Maman n'ait pas d'amoureux. C'est à cause de moi ?
— Non. Il n'est pas parti à cause de toi. Il ne savait pas que tu existerais, d'accord ? »

Le sourire de l'Ombre tremble – Tout tremble, elle croit, tel son monde actuel. En sursis ! –:
« Non, je te promets. »

Devant elle est un regard qui essaye si fort de croire ! Il lui perce la chair, alors Solène parle. Encore. Encore. Pas de temps pour penser. Non, non. Pas de temps pour mourir vivante. :
« Il s'appelle Eliott Lechauvin. Il t'aime. Beaucoup. Tu... serais d'accord pour le voir ?
— Oui, d'accord. »

La SilencieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant