L'Ombre et l'Esprit

Chapitre 5

Adélita-

Deux semaines sont passés depuis mon petit « accident » comme l'appelle ce charment Ted Blund. Tu parles d'un accident ... Enfin. Toujours est-il que ce petit détail a au moins eu pour effet de faire réagir mon exécrable patron. Il porte plus de soin aux clients qu'il accepte. Cela fait donc deux semaines que je m'occupe de personnes âgées ou en situation de handicap. Et ça me va très bien ! Même supporter ce vieil acariâtre de Samson est un plaisir. Pourtant, le vieillard, qui ne porte ce surnom que parce qu'il a dépassé la barre des quatre vingts dix ans, est un sacré connard. Rien ne va jamais, rien ne lui plaît, tout est toujours mal fait. Et autres joyeusetés du style. Mais je vois régulièrement Suzy, une vieille dame qui me rappelle ma grand-mère. Elle vit seule depuis la mort de son mari et ses enfants se fichent de la solitude dans laquelle elle est.

Cependant, aujourd'hui, j'ai un nouveau client. D'après sa fiche, très détaillée, il vit en fauteuil roulant, raison pour laquelle une aide ménagère lui ai allouée. Je me rend chez lui et tombe sur un immeuble plutôt chic. Pas luxueux mais sa déco prouve tout de même que ses habitants ont un certain train de vie. L'endroit est aux antipodes de chez moi. Je prend l'ascenseur et demande le troisième étage. Appartement trois cent un. Je pose mon matériel au sol et sonne à la porte. On m'ouvre une minute plus tard. Un jeune homme de vingt-cinq ans se tient devant moi, rivé dans un fauteuil. Je plaque un sourire sur mes lèvres.

- Bonjour, je suis Adélita. Je suis chargée de faire le ménage chez vous. Vous êtes bien ... commencé-je poliment avant d'être coupée.

- Dépressif ? Fait-il.

- Euh ...

- Désolé. Je suis Evan Manfret. Ravi de vous rencontrer. Dit-il d'un voix monocorde avant de faire demi-tour et de m'inviter à entrer.

Je suis un peu déstabilisée par cet accueil. Je ne m'attendais certainement pas à ce genre de présentation. D'après ma fiche, Monsieur Manfret a eu un accident de voiture. Enfin, un chauffard ivre l'a renversé. Ses deux amis se trouvaient avec lui et n'ont pas survécut. Evan s'est retrouvé cloué dans un fauteuil roulant à cause d'une moelle épinière fracturée et deux jambes broyées. Pour un danseur pro, ça a de quoi détruire. Je peux facilement comprendre qu'il soit dépressif. Je me mets rapidement au travail tout en essayant de discuter avec ce jeune homme écorché par la vie. Tout est terne chez lui. Ses vêtements, son regard, son appartement. C'est gris, noir et morne. Il me fait de la peine. Tellement de peine. En rangeant un meuble, je tombe sur quelques photographies en noirs et blanc d'un groupe de jeunes. J'ai un pincement au cœur en voyant les sourires de chacun et leur joie. Je m'empresse de remettre ces reliques du passé à leur place. Evan n'est pas causant. Mais il écoute de la bonne musique. Ce qui fini par me donner envie de remuer en rythme avec elle. Je ne devrais pas mais c'est difficile de résister quand She's like the wind de ce bon Patrick Swayze passe. Je me déhanche lentement tout en faisant la poussière. Un mouvement de bassin, un mouvement de plumeau et on recommence.

- Vous devriez donner plus d'amplitude à vos mouvements. Lance une voix près de moi.

Surprise, je sursaute. Je ne l'ai pas vu approcher.

- Pardon ? Fais-je.

- Vos mouvements. Donnez leur plus d'amplitude, de corps. Vous vous retenez et ça les rend moches.

- Oh. Désolée. J'adore danser et je ne voulais pas vous blesser.

- Je sais. Tout le monde fait ça. On ne me parle plus de danse. Ce sujet a été banni.

- Mais vous n'êtes pas d'accord avec ça ? Demandé-je gentiment, surprise et intriguée, mon côté curieuse pointant son vilain nez.

- J'aime la danse. Je la pratique depuis que j'ai su tenir sur mes jambes. Je n'ai toujours vécu que pour elle. La manière dont elle libère les gens, son éventail de style, de mélodies, de mouvements. C'est beau.