Chapitre six, le « mana » d’Aïmata.
Le « six roues » progressant en moyenne de deux cents kilomètres par jour, traversa ce qui serait, beaucoup plus tard, les plaines du Chaco au Paraguay. Quelques années plus tôt dans sa vie, mais soixante-cinq millions plus tard dans la vie de la planète, Aïmata, soupçonnée de meurtre et poursuivie par la police, avait déjà traversé cette région, sous un climat bien plus sec…
Dans ce monde où jamais un humain n’avait tracé le moindre sentier, l’équipage tirait partie des pistes ouvertes par les troupeaux de grands sauropodes dans leurs migrations à travers l’immensité des forêts de conifères et de feuillus qui couvraient la plus grande partie du continent.
Depuis le double impact cométaire, le ciel était voilé par des milliards de tonnes de poussières et de fumées projetées dans la haute atmosphère. Ce phénomène parasitait les radiocommunications au point de les rendre impossibles à grande distance. Jour après jour, on ressentait la fraîcheur inhabituelle due à l’interception des rayons solaires par ces masses de particules. Plus loin, dans le sud-est, l’horizon paraissait toujours plus sombre et orageux. L’expédition croisait de nombreux groupes de dinosaures qui refluaient des zones frappées par la comète. Des vols de millions d’oiseaux les survolaient, suivant la même direction.
Aïmata conduisait le véhicule avec prudence, scrutant le paysage extérieur à travers l’immense vitrage circulaire qui fermait l’avant du long cylindre articulé.
_ Carcasse, cria-t-elle !
Joseph se leva de sa couchette pour la rejoindre, et s’assit sur le siège du copilote. Il vit aussi la silhouette d’un gros animal étendue dans le sous-bois.
_ Approchons-nous.
Jouant tour à tour, par de petites manettes, sur chacun des six moteurs qui actionnaient les énormes roues formées de lames métalliques flexibles, Aïmata, amena l’avant de l’engin presque au contact du cadavre, cassant quelques branches et provoquant la fuite d’une douzaine de petits mammifères, ressemblant vaguement à des rats, qui avaient profité de l’aubaine.
_ La mort date seulement de quelques heures. C’est un jeune puertasaurus, ou quelque chose de proche.
_ Celui qui l’a tué ne doit pas être loin, dit Aïmata.
_ Mais il n’a plus faim pour le moment.
_ Pour tuer un bestiau de cette taille, ils étaient sans doute plusieurs, fit remarquer Collignon.
_ Et son troupeau ? Les sauropodes ne vivent pas seuls !
_ Je vais quand même sortir pour faire un prélèvement, dit Joseph. Prépare le matériel. Et les pièges aussi, je voudrais bien prendre des mammifères vivants. Nous passerons la nuit ici.
Pour les études de paléontologie in situ, les chercheurs avaient depuis longtemps dépassé le simple rapprochement, trop aléatoire, entre les squelettes frais et les fossiles. Il y avait beaucoup trop d’espèces vivantes pour avoir la chance de retrouver parmi elles les rares espèces que l’on avait connues par leurs fossiles. Désormais, à partir de quelques cellules fraîches, le laboratoire automatique situé à l’arrière du « six roues » réalisait en quelques heures la carte du génome de l’animal ou du végétal choisi. Puis l’ordinateur le comparait avec tous les autres génomes stockés dans sa banque de données, et le replaçait, avec une bonne approximation, dans le grand arbre généalogique de l’évolution, parmi ses innombrables cousins, passés, présents, et à venir.
_ Je vais avec vous, monsieur de La Martinière, votre perruque poudrée ne suffira pas à effrayer un carnivore, tangata puhuruhuru. Souffrez que je me munisse d’un mousquet !
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L'Océan des marins perdus.
Fiksi IlmiahScience-fiction et aventures maritimes. Des marins de diverses époques et diverses origines se retrouvent malgré eux projetés dans un passé lointain, très lointain... Dans un temps où une menace cataclysmique pèse sur la Terre...