Chapitre quatorze, L'horizon en flammes.
Au lever du jour, la lumière solaire avait de plus en plus en plus de mal à percer. Dans cette aube tardive et blafarde, le « six-roues » avança au pas, phares allumés, en direction de la carcasse, pour relever les pièges.
Une douzaine de gros animaux s'agitaient autour des restes, qui avaient été en grande partie dévorés dans la nuit. Des oiseaux voletaient alentour. Les deux grands abelisauridés cornus étaient revenus.
_ Tes amis sont là, lança ironiquement Joseph pour Aïmata.
_ Dès qu'ils me verront, ils prendront leurs jambes leur cou !
_ C'est que, ma mie, leurs canons de beauté ne sont pas les nôtres !
Parmi les charognards qui profitaient de l'aubaine, les plus nombreux étaient les unenlagia, dont Joseph et son équipe avaient déjà identifié et baptisé plusieurs espèces. Ces dinosaures bipèdes de la taille d'un homme plongeaient leurs grosses têtes entre les côtes du puertasaurus, en écartant leurs bras courts et emplumés, armés de griffes, et en relevant leur longue queue reptilienne, elle aussi ornée de plumes. Leurs pattes musclées de grands coureurs étaient presque nues. Leur proche parenté avec les vrais oiseaux qui partageaient le festin était évidente. Les études génétiques en cours devaient déterminer si les unenlagia avaient eu des ancêtres volants, d'une lignée différente de celle des oiseaux.
Le nombre, et l'excitation des animaux en plein repas dissuadèrent Aïmata de renouveler son exploit de la veille. Elle préféra le recours plus vulgaire aux puissants phares et à la sirène du « six-roues » lancé à la plus grande vitesse permise par le terrain. Cette charge, d'un genre jamais vu, mit en fuite tous les convives dans un concert de protestations.
Dans ses deux premiers pièges, Collignon eut la bonne surprise de trouver deux sortes différentes de mammifères grands comme la main, appartenant à des espèces non répertoriées. Dans le troisième s'était fourvoyé un serpent, dont la queue et deux pattes arrière vestigiales dépassaient à l'extérieur, la trappe ayant coincé l'animal sans le couper en deux. Bon nombre de serpents du crétacé étaient caractérisés par ces restes de pattes. Les naturalistes étaient ravis de leur récolte.
Le « six-roues » reprit son voyage. Joseph et Aïmata le conduisaient sans volant, grâce à un simple jeu de manettes. Une commande maîtresse mettait les six moteurs au même pas. Deux commandes intermédiaires contrôlaient les trois moteurs de chaque côté du véhicule. Enfin, on pouvait actionner chacune des roues séparément des autres, ou segment par segment, pour tordre le véhicule. Le tout avec l'aide d'un ordinateur de bord qui faisait du pilotage un jeu d'enfant. Ils gardaient les phares allumés, car presque une semaine après la catastrophe et, à cinq ou six cents kilomètres des points d'impact, le jour était devenu une notion très relative. Une fine neige de cendres commençait à tomber.
_ Encore un !
Le cadavre d'un puertasaurus adulte, presque deux fois plus long que le « six-roues » était couché sur la droite, à l'orée d'une forêt que Joseph essayait de contourner. Il semblait en bonne partie dévoré, lui aussi.
_ Cette fois, il vaut mieux sortir avec les masques protecteurs. Nous prendrons des échantillons de cendres.
_ Pas de radioactivité ?
_ Non, rien d'anormal.
_ Température extérieure, huit degrés. Je doute que ça puisse descendre plus. C'est déjà très bas pour cette végétation.
_ Quand j'étais petite, l'impact de la comète Boltysch nous a bien rafraîchis, mais pas à ce point...
Ils enfilèrent masques et blousons, Aïmata prit son fusil, et ils sortirent, laissant Collignon au laboratoire et Prevost aux commandes du véhicule. Ils n'en avaient que pour quelques minutes. Un tour rapide de la carcasse révéla encore de profondes brûlures. Joseph filmait la scène, tandis qu'Aïmata veillait à ne pas se laisser surprendre par un carnivore. Les sous-bois voisins étaient très sombres, mais une silhouette attira Joseph. Ils découvrirent un autre puertasaurus mort et gravement brûlé. Un troisième n'était pas loin. Un troupeau entier avait dû être pris dans un incendie. Le premier cadavre découvert la veille en était-il aussi un membre ? Ces animaux blessés n'avaient pas pu franchir de grandes distances. Le front des incendies devait être proche.
Quelques kilomètres plus loin, le « six-roues » s'arrêta au sommet d'une colline d'où l'équipage découvrit ce à quoi il s'attendait : l'horizon était en flammes. A perte de vue, de colline en colline, les silhouettes noires d'arbres immenses se détachaient sur un fond rougeoyant. Des araucarias de cinquante mètres de haut se consumaient comme des brindilles. Entre eux et l'océan Atlantique, invisible, des centaines de milliers de kilomètres carrés partaient en fumée noire, incendiés par les retombées de matières incandescentes éjectées des deux cratères. Des milliards d'animaux de toutes tailles avaient dû être carbonisés.
« E fogo, é fogo ! » fredonnait Aïmata entre ses dents.
Il serait dangereux de chercher à s'approcher davantage des zones d'impact. Le « six-roues » n'était pas assez rapide pour fuir devant le feu si un vent fort se levait. De plus, le rendement des couches photoélectriques tapissant le dessus du véhicule, qui complétaient les piles à combustible, était presque tombé à zéro, ce qui réduisait son autonomie.
L'équipage se réunit pour débattre de la suite de l'expédition. Les communications avec leur base de Puerto Uyuni restaient impossibles, mais ils étaient rompus à ces expéditions en autonomie. Ils savaient qu'un grand catamaran devait se trouver sur la mer de Pacha, pour observer lui aussi les effets du double impact. Ils décidèrent de retourner vers la côte, en visant une zone située au sud de celle qu'ils connaissaient déjà. De là, ils tenteraient de joindre le voilier.
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L'Océan des marins perdus.
Научная фантастикаScience-fiction et aventures maritimes. Des marins de diverses époques et diverses origines se retrouvent malgré eux projetés dans un passé lointain, très lointain... Dans un temps où une menace cataclysmique pèse sur la Terre...