Une dizaine d'années après l'arrivée de Gerbault, Aïmata eut quinze ans. Elle savait depuis longtemps qu'il lui faudrait bientôt quitter son île natale pour Puerto Uyuni. L'Astronome y attendait les meilleurs élèves du précepteur français pour continuer leur formation.
Un matin, l'île double s'éveilla entourée de dizaines de navires ! Dès le lever du soleil, Alain Gerbault fut appelé au marae, comme tous les conseillers de l'ari'i. L'enceinte sacrée était bâtie sur une éminence d'où les trois quarts de l'horizon étaient visibles. Partout, des voiles ! Par groupes de trois, de cinq, elles convergeaient vers Tohora e rua. Pour Gerbault, leur forme était impossible à confondre: c'étaient des voiles de jonques chinoises !
Cette apparition inattendue ne pouvait être qu'une menace. Tohora e rua avait des relations épisodiques avec les îles et les archipels environnants dont les peuples participaient à la kula, ce commerce aussi symbolique que vital qui participait au maintien de la paix. Mais la kula ramenait à chaque saison des visiteurs déjà connus, et jamais en si grand nombre !
La longue-vue en cuivre, datant du dix-huitième siècle, et offerte parl'Astronome, fut sortie de sa boîte par le conseiller qui en avait la charge, et tendue au roi, qui la passa bientôt à Gerbault. Sur les navires les plus proches on pouvait distinguer les silhouettes des marins, et par suite estimer leur nombre et la longueur des coques. La flotte semblait assez disparate, réunissant des jonques d'une dizaine de mètres pour les plus petites, jusqu'à vingt mètres ou plus. Et les équipages étaient nombreux !
Le quart nord-ouest de l'horizon étant masqué par le sommet del'île, on ne pouvait savoir si le gros de la flotte était visible ou non. Fort heureusement, les récifs formaient une barrière infranchissable presque partout, les seules passes praticables se situant dans le quart nord-est. Tant que les jonques seraient hors du lagon, il n'y aurait pas de danger immédiat. Mais comment les empêcher d'y entrer ?
_Qu'en penses-tu, murmura Mereata à l'oreille de son compagnon ?
_Je suis surpris qu'ils n'aient pas cherché à nous attaquer de nuit. Ils doivent être très sûrs de leurs forces.
_Leurs navires ne sont pas très rapides, et ils sont dispersés, ils ne peuvent pas arriver tous au même moment. Regarde, il y en a encore à l'horizon.
_Reste à savoir de quelles armes ils disposent.
_Et surtout, souffla Mereata, savoir qui nous les envoie... Car ils viennent certainement d'une autre époque, comme toi.
Déjà, l'ari'i donnait des ordres, et les hommes se précipitaient vers les plages où étaient remisés les pahi de guerre, afin de les remettre à l'eau et les gréer pour le combat. Dans cette agitation générale, seule Mereata restait sereine, gardant aux lèvres son sourire énigmatique.
Gerbault décida de monter au sommet du volcan, d'où il embrasserait tout l'horizon, pour estimer l'importance réelle de la flotte. Aïmataet une poignée d'autres jeunes gens décidèrent de l'accompagner, ce qu'il accepta. L'ascension les éloignerait du danger, et si besoin leur agilité leur permettrait de porter des informations jusqu'au marae bien plus vite que lui même ne pourrait le faire.
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L'Océan des marins perdus.
Science FictionScience-fiction et aventures maritimes. Des marins de diverses époques et diverses origines se retrouvent malgré eux projetés dans un passé lointain, très lointain... Dans un temps où une menace cataclysmique pèse sur la Terre...