L'enfance d'Aïmata (3)

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Roufs étant à la barre, Gerbault se rendit à l'avant pour fairebasculer l'ancre déjà préparée dans son davier. Il la regardas'enfoncer dans l'eau claire, entraînant la chaîne derrièreelle. Déjà, plusieurs jeunes gens jouaient à plonger pour toucherde la main le soc de métal, sans grand mérite car il n'y avait pas trois mètres de fond.

Des cris de joie fusaient des pirogues, les « Haere mai » et« Kia ora » que Gerbault reconnaissait malgré l'accentdifférent de celui qu'il avait entendu en Polynésie françaisedans les années 1930. Il allait enfin connaître cette langue soussa forme ancienne. Puis il se ravisa : il devait garder àl'esprit que, depuis un millier d'années, ce peuple avait évoluéhors de son temps d'origine.

Les deux marins furent invités à monter sur une pirogue qui lesconduisit à terre. Il faisait déjà très chaud, malgré l'heurematinale.

Aumilieu de dizaines d'enfants nus, Aïmata, qui avait à peine cinqans, se tenait debout sur la plage et regardait approcher cet hommeaux tempes grises. On lui avait dit qu'il lui apprendrait lefrançais, et tous les secrets de l'Astronome. Elle lui trouval'air triste et fatigué, malgré son sourire.

Couvertsde colliers de fleurs, les deux étrangers furent menés vers lemarae,l'enceinte sacrée en blocs de basalte, où les attendaient le pèred'Aïmata, l'ari'irahi de Tohora e rua,et tous les autres dignitaires de l'île. Il fallait emprunter unsentier escarpé en s'enfonçant sous une ombre bienfaisante.L'essentiel des habitations se trouvait sur les pentes, à l'abrides fréquents cyclones et raz-de-marée.

Lafête dura jusque tard dans la nuit, autour des feux. Sous un beauciel plein de comètes, haka, chants et danses se succédaient, àl'émerveillement de Gerbault. Sa jeune élève lui fut présentéeparée d'un manteau royal de plumes rouges, et son père expliquaau nouveau précepteur que la princesse devait apprendre en prioritéles traditions de son peuple, la récitation de sa généalogie, seschants et ses danses, puis un peu de français. Gerbault s'enréjouit. Il apprendrait à maîtriser le dialecte local, et seraitle condisciple d'Aïmata avant d'être son précepteur.

Quelquesjours plus tard, comme prévu, Gerry Roufs embarqua sur un pahiavec un équipaged'indigènes, et reprit sa longue errance. Gerbault ne le croisajamais plus, bien qu'il reçut encore longtemps de ses nouvelles.

Jusqu'auxdix ans d'Aïmata, l'île fut heureuse, malgré les colères dela nature qui prélevait chaque année son tribut de vies humaines.






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