Chapitre treize, Appareil volant à basse altitude.

14 2 0
                                    

Chapitre treize, Appareil volant à basse altitude.


Pris de fureur, Alain bondit à l'intérieur du bateau, une grosse manivelle de winch à la main, prêt à frapper. Il y trouva Wiencke à la table à cartes, devant son petit ordinateur.

_ Pourquoi, t'es tu planqué ? Tu sais d'où vient cette chose ! Tu as dit l'autre jour qu'il n'y avait pas de coïncidence ! Assez de cachotteries ! Tu parles, ou je te jette par-dessus bord !

_ Non, je ne sais pas d'où ça vient. Je n'ai plus de liaison. Ils ont dû détruire mon satellite relais !

_ De liaison avec qui ? Et « ils », c'est qui ?

_ Sans doute pas des amis. Cette chose vient peut-être d'une autre planète...

_ Bien, résumons : nous naviguons au silurien, nous sommes supposés être les seuls sur la planète, en attendant peut-être Gerry Roufs, le troisième larron. Là-dessus, surgit un vaisseau spatial extraterrestre qui... Non, ils ne peuvent pas être extraterrestres ! Ils utilisent nos chiffres et nos lettres !

_ C'est pire alors. Ils viennent d'une autre époque. Tu as lu quelque chose ?

_ « Tohora e rua. »

A ces mots, Wiencke blêmit.

_ Qu'est ce que c'est ? Je vois bien que ça signifie quelque chose pour toi.

_ Ils sont là pour nous, c'est certain. « Tohora e rua » c'est le nom d'une nation guerrière. Je t'ai parlé de l'utilisation militaire du voyage dans le temps... Notre mission est de contrer leurs projets.

_ Que veux tu que je fasse contre cette machine énorme ? Et puis ça ne tient pas, s'ils voulaient nous éliminer, ils auraient pu le faire depuis longtemps, sans s'approcher autant.

_ Tu as raison. Cela peut signifier que nous ne sommes pas leur cible. Ce serait donc Gerry Roufs...

Alain interrompit la conversation pour remonter sur le pont. Un réflexe de marin : en navigation côtière, ne pas rester plus de quelques minutes sans observer les alentours. La brise thermique faiblissait légèrement, et le bateau avait encore ralenti. Suivant une route droite le long d'une côte qui s'arrondissait, Manureva s'était rapproché à un demi-mille de la plage. Sans consulter Wiencke, il décida de jeter l'ancre. La manœuvre était facile : l'ancre avait été préparée par prudence en raison de la proximité de la côte, et la mer était calme et peu profonde. En quelques minutes, le bateau fut arrêté face au vent, et dans la foulée, Alain affala la grand-voile et l'artimon. L'engin mystérieux volait à basse altitude à l'horizon.

Wiencke sortit avec une paire de jumelles.

_ Le satellite n'est pas détruit, j'ai rétabli le contact. Gerry Roufs vient d'être matérialisé à quelques milles d'ici. Quelle profondeur avons-nous  ?

_ Huit mètres.

_ Bien, son bateau a un gros tirant d'eau, mais huit mètres, c'est assez. Il pourra s'approcher de nous. Il faut préparer quelques fusées de détresse pour l'attirer.

_ Tu vas attirer le... vaisseau spatial.

_ Il sait déjà où nous sommes. Nous ne connaissons pas ses intentions, et nous n'avons aucun moyen de le contrer. Il faut poursuivre comme si de rien n'était.

Il scrutait l'horizon.

_ Et s'il est inconscient, comme moi à mon arrivée ?

_ Ce sera court, une infime fraction de seconde !

_ Je crois qu'il y a une voile, là bas ! Il a pris au moins deux ris.

_ Oui, confirma Wiencke. Il y a moins d'une minute, il était dans une tempête. Il doit se demander pourquoi il fait si chaud maintenant.

_ J'ai vécu ça. Et l'engin volant va vers lui.

Wiencke avait l'air très sombre. Il tira une première fusée.

_ Ils vont nous empêcher de le contacter.

_ Tu me donnes l'impression d'être un pion dans un jeu d'échecs.

_ C'est ce que nous sommes, dit Wiencke en tirant une nouvelle fusée de détresse.

La voile s'approchait lentement. Le skipper devait essayer de comprendre ce qui lui arrivait avant de renvoyer de la toile. Il avait certainement remarqué cet engin dans le ciel, qui se dirigeait vers lui. Alain vit soudain un faisceau lumineux d'un bleu électrique intense se former entre « Tohora e rua » et la voile de Gerry Roufs. Quand l'éclair s'éteignit, le bateau avait disparu.

_ Ils l'ont détruit !

_ Ils l'ont envoyé dans une autre époque, corrigea Wiencke.

_ Ils continuent à s'approcher de nous !

_ Ils vont nous avoir aussi ! Il faut s'échapper, nager jusqu'à la côte !

_ Je ne quitte pas mon bateau ! On ne peut pas leur échapper !

_ Il faut partir !

_ Vas-y, toi ! Plutôt mourir que de rester dans ce cauchemar ! Qu'ils me renvoient en 1978 !

Renonçant à discuter, Wiencke plongea et s'éloigna en nageant désespérément. Alain regardait l'énorme appareil venir vers lui en silence. Chacun des deux fuselages parallèles avait une silhouette évoquant vaguement celle d'un bateau. Soudain, il pensa que, quoi qu'il arrive, il serait plus en sécurité à l'intérieur. Au bord de la panique, il plongea dans la descente et se glissa sur la couchette la plus proche en fermant les yeux pour se protéger de l'éclair. Les secondes passaient et rien n'arrivait...

Surmontant sa peur, il risqua sa tête à l'extérieur. L'engin avait disparu, et le ciel avait changé. Il faisait moins chaud. Il sortit dans le cockpit. Des oiseaux tournaient dans le ciel !

Manureva était à la dérive, au large. Wiencke était invisible, tout comme Gerry Roufs. Alain se précipita à l'avant. La chaîne d'ancre pendait inutilement dans l'eau. Il commença à la remonter, très vite rassuré de sentir le poids de l'ancre suspendue au bout. Il y avait plusieurs îles à l'horizon. Il avait l'impression d'être sous les tropiques, et qu'une belle journée commençait. Il fallait trouver au plus vite une terre habitée.

Tout en hissant les voiles, Alain se remémorait les derniers propos de Wiencke. S'il n'était qu'un pion dans un jeu d'échecs, on ne l'avait pas éliminé. On l'avait placé sur une autre case, dans une autre époque, au lieu de le tuer. Il avait donc encore un rôle à jouer, dans une partie dont il ignorait les règles, les enjeux, ainsi que le nombre et la loyauté des adversaires...


















L'Océan des marins perdus.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant