Pot de Colle

I need a break.

Son talon avait ridiculement gonflé.

La veille, il était rentré à l'appartement en boitant faiblement, forçant un peu sur la cadence. Il n'avait pas envie d'avoir l'air d'un estropié sur le point de s'effondrer dans le caniveau. Plus tôt il se fonderait dans son lit, mieux il se porterait. Loin de tout. Loin d'elle.

Toutefois, sa démarche n'avait pas échappé à Jass, qui lui était tombé dessus aussitôt le seuil de leur collocation franchi. L'étudiant en médecine l'avait forcé à retirer ses pompes, puis ses chaussettes, pour faire la comparaison. Ses deux pieds mis côte-à-côte, la différence était affligeante. Cela dit, le cendrier faisait encore plus peine à voir.

Son colocataire lui avait administré un antidouleur et beaucoup de glace. Kier avait ronchonné à la sensation du froid, avant de s'enfermer dans sa chambre à double-tour. Il s'était endormi tel quel au-dessus des draps.

Ce matin était une torture. Enfin... « Matin » était un bien grand mot, il était tout juste cinq heures d'après son téléphone et même le soleil pionçait encore. Il avait l'impression d'être à un lendemain de soirée. Il était fatigué et perdu dans les souvenirs confus de la veille. Il avait aussi mal au crâne, le ventre creux et ses vêtements, imbibés de sueur, lui collaient désagréablement à la peau.

Debout et incapable de retomber dans les bras de Morphée, il tenta de faire un pas en avant et trébucha, grimaçant. Sa blessure n'avait pas disparu comme par magie, malheureusement. Cela n'aida pas à calmer son esprit déjà échauffé. Il était toujours en colère.

Son regard s'attarda sur la maigre vue de sa fenêtre. La ville était peignée d'un épais brouillard, percé de-ci et de-là par les lumières des lampadaires et les phares des rares voitures qui apparaissaient et disparaissaient comme des mirages. Au loin, le tonnerre grondait.

Il se frotta les yeux et prit appui sur son étagère. Il massa son talon endolori d'un geste las, mais s'arrêta bien vite en réalisant que cela ne faisait qu'éveiller davantage la douleur. Il se rassit, se déshabilla dans un soupir de délivrance et se recoucha, nu. Le sommeil l'assomma aussitôt, jusqu'à ce que des coups à sa porte le réveillent en sursaut. Il se débattit un instant avec ses draps, pris au dépourvu.

— Kier ! Réponds, bon sang ! Kier !! hurlait Jass dans un mélange d'exaspération et d'inquiétude.

Face à l'urgence, l'estropié s'empressa d'atteindre la porte à cloche-pied, déverrouillant la porte sans réfléchir. Elle s'ouvrit à la volée sous l'insistance de son aîné qui hoqueta en remarquant sa tenue... inexistante.

— Qu'es- Kier !

Jass détourna la tête, amorçant un mouvement de recul, et croisa les bras contre son torse. Cet embarras inhabituel, qui lui faisait rentrer les épaules, amusa l'auteur de son trouble.

— Quoi ? Tu n'as jamais vu de bite avant ? le taquina-t-il.

Un regard noir le fusilla avec véhémence.

— Figure-toi qu'un jour, à cause d'un certain petit ma-

— C'est bon, c'est bon, j'ai compris, le coupa Kier en sachant exactement là où il voulait en venir.

Ce n'était arrivé qu'une fois et pourtant, dès que l'occasion se présentait, il fallait encore que Jass remette cet accident de parcours sur le tapis... Allait-il ne serait-ce que lui pardonner un jour ? Il y avait prescription à un moment.

Il ne souhaita pas tenter le diable et changea de sujet :

— Tu m'voulais quoi ?

Son colocataire se décoinça, un maigre sourire aux lèvres. Il se retourna pour partir se chausser dans l'entrée. En tenue d'Adam, Kier ne le suivit pas, préférant simplement tendre l'oreille.