Don't blame the messenger...

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Le regard de Kier se laissa charmer par la tempête de neige qui sévissait par-delà les baies vitrées de la cafétéria. Son panini se mit à refroidir entre ses doigts, alors qu'il tentait de compter le nombre de flocons qui s'écrasaient sur l'une des poubelles du parking. Il en était arrivé à cent, plus ou moins, lorsqu'un cri très peu viril retentit à une table avoisinante. Un garçon s'était mis debout sur sa chaise, son éternel sac couvert de taches de peinture sur une épaule.

— Tournée générale ! brailla celui-ci.

Antoine... Qui d'autre ? Il n'y avait que lui pour revêtir la casquette du chieur de service, même durant les repas. Tant qu'il s'attirait les murmures d'une foule, il était prêt à tout et n'importe quoi. C'était le pire des abrutis et plus personne ne remettait ses conneries en question à présent. Il pouvait danser la Macarena sur le toit de l'école que la direction aurait joué les ignorants, défaitiste d'avance.

Le mâle Alpha dans toute sa splendeur. Impuni.

Quelques élèves applaudirent, tandis que la majorité lui lançait des regards obliques. L'orateur choisit ce moment précis pour remonter son froc, visiblement en conflit avec sa ceinture de pantalon. Il n'en fallut pas plus pour le décrédibiliser aux yeux de sa maigre assistance.

Kier soupira, reportant son attention au monde extérieur. Voilà pourquoi il ne mangeait jamais dans l'enceinte scolaire. Il fallait toujours qu'un crétin fasse son intéressant dans les environs et, solitaire comme il était, entendre les jérémiades de ces énergumènes prépubères le gavait fortement.

Cependant, le temps n'était pas en sa faveur aujourd'hui. Il n'était pas très chaud de prendre son scooter sous un ciel aussi couvert. Il avait déjà eu un accident à cause de son entêtement par le passé et, pour une fois, cela lui avait servi de leçon. Ça coûtait cher en tôle froissée, ces merdes.

Et son dos s'en souvenait.

Il croqua à pleine bouche dans sa tomate-mozzarella, soudain impatient de fuir ce stupide poulailler. Il ne comptait pas s'attarder ici, surtout depuis qu'un Antoine en forme envisageait de faire un défilé sur la table, argumentant son idée barbare auprès de ses amis. Où pouvaient bien se cacher les surveillants dans un moment pareil ?

— Hé ! Le nouveau ! se remit à geindre le One Man Show.

Nouveau ?

Intrigué, son esprit rêveur quitta sa contemplation pour voir de quoi il en retournait. Son estomac fit un salto arrière en découvrant le spectacle à quelques mètres de lui : Nikita s'était figé au milieu de la salle, son plateau en main, pendant que l'autre emmerdeur sautait de son perchoir pour le rejoindre. Il passa ses sales pattes autour du cou de sa cible et l'emporta avec lui vers sa clique.

Le visage de Kier devint noir de rage. Son panini finit en miettes sur sa serviette, victime de ses jointures serrées. La bile venait de remonter dans son œsophage comme la lave d'un volcan. Il jurait qu'il allait écraser la tronche d'Antoine dans une poubelle.

Une semaine. Une semaine durant laquelle il avait pensé à ses brèves interactions avec l'autre lunatique sans pouvoir s'arrêter. Une semaine durant laquelle il l'avait observé évoluer dans l'établissement sans venir à sa rencontre avec son accent bizarre, sans lui adresser un regard cerné, sans une seule interaction de sa part. Une. Putain. De. Semaine. Il n'avait encore jamais vécu une situation aussi frustrante de toute sa vie.

Depuis le coup de la cigarette, il n'avait pas eu l'occasion d'approcher l'Asiatique. La bande à Tuck l'avait pris sous son aile et ne le lâchait plus d'une semelle. Quand ils n'étaient pas dans les mêmes classes, ils se collaient dans les couloirs comme des sardines. C'était à en devenir dingue.

Pot de ColleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant