— Kier, prend ton bazar, tonna Monsieur Hochard. Tu sors.
L'interpellé ne prit même pas la peine de répondre et obtempéra, son sac déjà prêt sur son épaule. Un simple soupir franchit ses lèvres. Encore une fois, on le virait de la salle pour un motif désuet.
Soit.
Après toutes ces années, il s'y était habitué. C'était sans cesse la même rengaine. Pourquoi chercherait-il à se défendre aujourd'hui ? Rien n'y changerait. Qu'il riposte ou qu'il se taise, le tort lui revenait perpétuellement à la figure. L'opinion publique l'avait un jour étiqueté comme une « cause désespérée », se souciant bien peu de la vérité, et n'était jamais revenue sur sa décision. Cours après cours, il avait encaissé les remarques du corps enseignant d'un rictus crispé. Une certaine lassitude avait ainsi remplacé son ancienne combativité.
Dorénavant, les grondements des adultes lui faisaient à peine hausser les épaules. Il les trouvait vides de sens. Au final, il n'avait rien à leur prouver et il n'était certainement pas là pour leur faire plaisir. Il avait d'autres chats à fouetter et tenter de se justifier n'entrait pas dans cette catégorie. Cela ne servirait qu'à alimenter un débat déjà stérile...
La voix niaise de son professeur d'anglais résonna une dernière fois dans son dos, alors qu'il claquait la porte sous le regard blasé de la classe. Ses camarades connaissaient son tempérament bourru sur le bout des doigts, tant et si bien qu'ils n'avaient plus matière à en rire. C'était compliqué de passer à côté, surtout quand les leçons étaient ponctuées par son renvoi systématique. Aucun jour ne faisait exception et, évidemment, il en avait cure. Il n'écoutait jamais.
Plongés dans un soudain silence, les pas du jeune homme le menèrent jusqu'au rez-de-chaussée de l'établissement. Ses mains s'activaient sur sa cigarette à moitié roulée. Il n'y avait personne à cette heure-ci dans les couloirs et le soleil déclinait déjà à travers les vitres du hall principal. L'instant était parfait.
Son regard s'attarda avec nonchalance sur le paysage hivernal qui pointait entre les immeubles de la ville. Les montagnes avaient blanchi durant la nuit, dominant le ciel au loin. Les prévisions météorologiques annonçaient d'ailleurs de la neige, ce week-end.
La vue, à priori banale, le réjouit. Elle était synonyme de paix et de liberté.
Il écarta la grande porte d'un coup de hanche et accéda à la cour, partiellement abritée. Son nez se plissa au contact du vent, puis tout son corps se recroquevilla. Ce temps n'allait pas le plaire tant que ça finalement.
— 'Chier, maugréa-t-il.
Ses dents grincèrent. Il faisait un froid de canard dehors, mais il se décida quand même à sortir, rabattant sa capuche sur sa tête. Un frisson l'assaillit à ce simple geste. Encore une fois, il faisait l'impasse sur ses divers piercings qui allaient sûrement lui geler la peau en un rien de temps. Au pire, il perdrait un bout d'oreille et une arcade...
Ma foi, ce n'était pas cher payé.
Ses affaires délestées sur la cour pavée, son dos se posa machinalement contre un poteau de l'immeuble. Il venait toujours fumer là, peu importait la saison. C'était son poste d'observation avec son poteau privatisé, auquel était vissé son minuscule cendrier. Le sien. À jamais.
Il n'y avait certes pas son nom dessus, mais quiconque osait s'en approcher sans son autorisation se risquait à d'amères représailles. Kier était possessif et ses habitudes, tenaces. Il ne laissait pas n'importe qui empiéter sur son territoire et mettre en péril sa pause clope.
L'objet de sa convoitise au bout des lèvres, il alluma son briquet, créant un cocon protecteur de sa main libre. Il faillit cramer une mèche de ses cheveux dans le processus et souffla, irrité. Il les rabattit en arrière d'un geste empressé, puis inspira enfin une latte de fumée. Un sourire satisfait étira alors son visage, enivré par l'odeur du tabac.

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Pot de Colle
Teen FictionKier détestait le système scolaire et surtout ses professeurs. Pour échapper à leur tyrannie, il trouvait toujours le moyen de se faire renvoyer de son dernier cours de la journée, histoire de gratter quelques minutes d'impunité sans se préoccuper d...