Pot de Colle

Please, answer me.

— T'as la tête ailleurs, toi, marmonna Lou à son oreille.

Kier releva la tête de son bureau, sur lequel il était avachi depuis une bonne demi-heure. Il avait l'impression de revenir en arrière. Le cours de Monsieur Hochard ne l'intéressait plus, contrairement à ces dernières semaines, et il devait à nouveau se coltiner cette pimbêche pour voisine de table. Le monde allait contre lui.

— Qu'est-ce que ça peut te foutre ? répliqua-t-il, sourcils froncés. Me fais pas croire que t'es devenue polie, hein, ou je te fais bouffer ta trousse de merde.

Elle roula des yeux, replaçant une mèche blonde le long de sa joue, et soupira avec dédain en direction de la fenêtre. Elle n'émit aucun commentaire, mais la pointe de ses bottes de pluie, parsemées de strass multicolores, grattait le radiateur mural pour y décharger son animosité.

Peu à peu, l'atmosphère se chargea d'électricité, tandis qu'elle s'obstinait à regarder l'immeuble d'en face. Une poignée de minutes s'écoula ainsi, à peine dérangé par le grattement caoutchouteux de ses semelles et le chuchotement des autres élèves qui remplissaient un exercice dans leur cahier. Être jolie la rendait encore plus insupportable, c'en était éprouvant.

Kier serra les poings, agacé. Il finit par se remettre dans sa position initiale, paupières closes et le menton dans le creux de son bras. Il n'avait même pas envie de chercher à la comprendre. Il broyait du noir, de toute façon. Nikita était distant depuis leur rencard improvisé — parce qu'après y avoir bien réfléchi, il n'y avait pas d'autres termes pour qualifier leur sortie. Cette dernière lui avait vraiment laissé un goût amer dans la bouche, comme s'il s'était pris un râteau.

En vérité, c'était plutôt lui qui en avait balancé un au nez de son pauvre inconnu du banc. Il avait tout fait capoter pile à la seconde où il avait décidé de fuir la queue entre les jambes. Il aurait dû avoir honte d'agir comme le pire des poltrons ce soir-là, mais ça aussi, il en était parfaitement incapable. Il ne voulait pas se rendre à l'évidence et, malheureusement, ce mois de février dérapait inexorablement. Le temps avait tendance à lui filer entre les doigts quand il se voilait la face.

C'était pourtant simple : s'il admettait une bonne fois pour toutes son erreur, il pourrait enfin être honnête envers lui-même et ses sentiments. Plus aucune excuse ne saurait alors le freiner. Il lui suffirait juste de se confesser, à ses risques et périls.

Cependant, « ses risques et périls » étaient exactement ce qui le gardait éveillé la nuit et, bien sûr, comme un con, il ne se bougeait pas le cul pour changer les choses. Il endurait en silence la distance que lui imposait Nikita, jour après jour, car il se sentait coupable tout au fond de lui : coupable de ne pas être à la hauteur, coupable de donner aux autres des faux espoirs, coupable de sa couardise et, surtout, coupable de jouer le grand garçon qu'il n'était visiblement pas.

Il avait peur de replonger dans la solitude de son enfance. Il était à nouveau ce gosse terrorisé par les monstres qui pourraient ou pas se cacher sous son lit, sans personne pour le consoler. Il avait peur de reculer au point où le moindre mouvement en avant lui déclencherait une crise de panique. C'était tellement stupide, tellement... affligeant.

— Vois-tu, Niki fait aussi la gueule, reprit soudainement l'autre connasse.

Kier ouvrit un œil assoupi, pas sûr d'avoir correctement entendu, et remarqua le sourire mesquin qu'elle lui adressait. Est-ce qu'elle était réellement en train de le narguer, là ? Il doutait bien que les intentions de la jeune femme ne fussent jamais louables, mais franchement, elle faisait tout pour lui casser les couilles en ce moment. Aujourd'hui, il fallait qu'elle prenne plaisir à tourner le couteau dans la plaie. Demain, ce serait quoi ? Un meurtre ?