Nikita lui sourit de toutes ses dents, avant de baisser précipitamment la tête, rattrapé par la honte. Le décalage fut vertigineux.
— T'exploses des records, toi, s'en amusa Kier, un sourcil haussé. Qu'est-ce que tu fous là, au fait ? Tu sèches aussi ?
Un regard d'incompréhension suivit son interrogatoire. L'autre ne bitait rien aussi, c'était à prévoir.
— Merde, c'est vrai. Toi, école ?
Il tenta de se reprendre, désignant tour à tour le bâtiment et le timide de service pour accompagner ses paroles. Ce dernier hocha vivement la tête à son intention, paraissant comprendre l'impossible. Il n'était pas débile, c'était déjà ça.
— Ah, bah voilà ! s'exclama-t-il avec soulagement. T'as rien à foutre dehors !
Il se redressa, enfila les lanières de son sac et lui fit signe de le rejoindre à l'intérieur. L'étudiant frigorifié lui adressa un air hésitant, presque effrayé, comme si rentrer signifiait sa peine de mort. Sur ce coup, Kier était de son avis, l'école s'apparentait à une prison pour la plupart des jeunes, lui compris. Chaque tabouret à la con en salle de sciences équivalait à une chaise électrique.
Il perdit toutefois patience, une main plaquée sur la porte pour la retenir. Mort de peur ou non, Nikita ne pouvait pas passer sa vie dans le froid. Nope, hors de question.
— Allez ! l'encouragea-t-il. Je suis pas ton majordome, non plus, mec.
Il ne fallait pas pousser le bouchon trop loin, hein ; baby-sitter, c'était amplement suffisant.
L'enfant ne se fit pas prier. Il ne captait peut-être pas le sens des mots, mais le ton impérieux qui venait de faire siffler ses tympans était sans appel. Il se leva, révélant par ailleurs sa silhouette efflanquée. Il n'était pas bien grand et, sans toutes ses couches de vêtements, il ne devait pas peser bien lourd. Ses yeux sombres fuyaient l'horizon, creusant davantage ses cernes. Il n'aurait pas eu de mal à se fondre dans une foule. Pourtant, il avait choisi l'hypothermie. Le système scolaire n'était clairement pas sa tasse de thé.
Ce constat provoqua un pincement au cœur de Kier, qui remercia le hasard de les avoir faits se croiser. Il n'était pas l'empathie incarnée, mais rencontrer quelqu'un de son âge dans un tel état lui faisait quelque chose. Cela n'avait néanmoins rien à voir avec son attirance pour la gent masculine, cela se rapprochait plus de la pitié. L'Asiatique était tout sauf son type.
Ils s'engouffrèrent dans l'aile sud de l'établissement, le mutisme aux trousses. De maigres solutions s'offraient à eux et l'expert du coin avait choisi la plus détestable : faire appel à la bienveillance des adultes. Il suivit donc les panneaux jusqu'au secrétariat général, ne prêtant plus la moindre attention à Nikita, dont la vision déshumanisée lui donnait la grimace.
Alors que l'étendoir à prospectus le conviait à « prendre son courage pour en parler » à quelques pas du fameux lieu de réception, son entrain chuta de façon drastique. Il combla les derniers mètres avec une expression déphasée. Les stores étaient tirés à quatre épingles et la lumière demeurait invariablement éteinte. Il chercha du regard à l'intérieur, le nez pratiquement collé à la vitre, mais personne ne se montra à sa vue. Au final, sa main tira sur la poignée, bien que l'espoir n'était plus de mise. Malheureusement, sa tentative se succéda par un échec cuisant.
— Putain, cette école sert vraiment à rien ! commença-t-il à s'énerver. Vas-y, c'est bon, suis-moi.
Il frappa du genou la porte verrouillée du secrétariat pour se décharger de son exaspération, puis enclencha la marche arrière. Le rescapé du banc sur ses talons, il fit le chemin inverse jusqu'à son dernier cours. Il avait une petite idée en tête, même s'il savait pertinemment que cela allait lui valoir pas mal de railleries.
Le professeur ne les accueillit avec aucune joie. Ce fut tout juste si les explications de son élève l'avaient retenu de les mettre à la porte à coup de pied aux fesses. Il grommela, visiblement consterné d'enseigner à de tels énergumènes, et leur ordonna de se faire oublier. Leur invité surprise n'eut même pas à ouvrir la bouche pour valider leur version des faits, il s'assit en face du bureau du professeur et contempla le vide.
Kier prit son exemple, se glissant lui aussi sans un mot à son ancienne place, au second rang. Sa voisine Lou, une jolie blonde qui piquait du nez à côté de la fenêtre, se réveilla en sursaut au son strident de sa chaise. Elle claqua sa langue sur son palais, puis l'ignora royalement. La demoiselle n'était pas connue pour être charmante.
Il ne pouvait pas vraiment la blâmer, il avait la fâcheuse tendance à ne blairer personne. Toute cette bande d'abrutis prétentieux, toutes ces obligations sociales inutiles, toute cette hypocrisie déplacée, il lui rappelait à quel point l'humanité était furieusement aliénée. Les gens étaient désespérés de montrer leur supériorité pour ne pas se laisser écraser par la masse, alors qu'ils en faisaient partie sans s'en rendre compte. Ils se pavanaient comme des loups dans une bergerie et étaient persuadés de mériter le respect de leurs pairs. C'était ridicule.
Et l'école cultivait cet état d'esprit malsain, cette quête absurde de l'autorité par-dessus tout. Elle éduquait les jeunes à suivre l'exemple des grands patrons, à avaler leurs idéaux de conquête du marché, à prétendre que l'argent achèterait leur bonheur et s'ils n'en avaient pas le cran, ils n'avaient qu'à baisser l'échine, se plier à la loi du plus fort et cirer les bottes des vrais Alpha sans rechigner.
On leur apprenait à choisir entre battre ou se laisser battre. Cette première catégorie d'impertinents à l'ego surdimensionné lui donnait de l'urticaire et l'envie irrésistible de leur claquer la porte au nez. De quel droit osaient-ils venir lui faire une leçon de vie ? Croyaient-ils vraiment avoir un quelconque pouvoir sur lui ?
À cette pensée, son cerveau s'échauffait toujours très vite, mais il avait depuis longtemps arrêté d'entrer en matière. Il préférait garder ses distances plutôt que de perdre son temps en discussion vaine. Le monde courait à sa perte et il ne se voyait nulle part dans ce tableau dystopique.
Il faisait peut-être partie des bêtes sauvages, mais il était solitaire. Il n'avait aucune proie à martyriser. Il n'en voulait aucune. Seule sa liberté comptait.
Kier soupira à cette dite liberté qui s'était évanouie aussitôt la porte franchie et le cours, ou ce qui en restait, reprit. Paix à son âme.
Son menton tomba rapidement dans le creux de sa paume. Il avait envie de se tirer une balle. Qu'est-ce qui lui avait pris, bordel ? Il se posait encore la question.
— Bah alors, Luetzen, tu ramènes les brebis égarées, maintenant ?
Il fit volte-face sur sa chaise pour fusiller du regard Antoine, un crétin de comique à l'allure débraillée. Son trait d'humour avait attiré quelques curieux, penchés dans leur direction. Il leur fit un doigt d'honneur général, grimaçant un faux sourire, et se retourna.
Ses yeux tombèrent alors sur le profil de Lou, qui feignait l'indifférence. Sa « camarade » ne disait rien, mais n'en menait pas large, un rictus narquois aux coins des lèvres. Une de ses grosses chaussures compensées rose fluo tapait en cadence le radiateur mural, faisant vibrer leur table commune. Elle semblait se délecter de la frustration qui tirait les traits de Kier et, sans surprise, il en fulmina davantage.
Il allait en entendre parler encore longtemps, il le sentait.
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Pot de Colle
Teen FictionKier détestait le système scolaire et surtout ses professeurs. Pour échapper à leur tyrannie, il trouvait toujours le moyen de se faire renvoyer de son dernier cours de la journée, histoire de gratter quelques minutes d'impunité sans se préoccuper d...