Thanks, mate.

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S'teuplaaait, frère ! Je suis prêt à payer la moitié, non, soixante pourcents ! négocia une voix suppliante à l'autre bout du combiné.

Kier croisa les bras contre son torse, le dos appuyé contre la rambarde du bus. Son colocataire le harcelait depuis dix minutes sur la nécessité d'avoir un robot-mixeur dans leur appartement pour « simplifier leur vie d'étudiants surchargés », comme il ne cessait de le répéter. Là, tout de suite, l'interpellé avait surtout l'impression que c'était tout le contraire ; cet achat l'emmerdait profondément.

— Nan, Jass, arrête d'insister, s'exaspéra-t-il. J'ai pas les tunes, j'te l'ai déjà dit !

Face à ce refus catégorique, l'acheteur compulsif souffla longuement, découragé, avant d'être distrait par la sonnerie en fond du four à micro-ondes. Il s'excusa et prit congé sans pour autant raccrocher. Kier soupira à son tour, contraint de prendre son mal en patience. Il venait d'être mis en attente sans plus de cérémonie, ce qui n'était pas étonnant venant de Jass, il faisait toujours quinze choses à la fois. C'était pénible à force, mais ça, son cadet pouvait toujours se fourrer le doigt dans le cul jusqu'au coude pour espérer changer la donne.

Alors, sans plus attendre, il lui raccrocha au nez et éteignit son téléphone portable. Tant pis, il assumerait à son retour au bercail. Là, tout de suite, ce n'était vraiment pas le moment de lui faire perdre son temps. Il avait du pain sur la planche et il ne pouvait pas être plus à la bourre !

Le trottoir défilait sous son regard, illuminé par les décorations municipales et les guirlandes des boutiques de particuliers. Il joua distraitement avec ses anneaux à l'oreille, stressé. C'était joli, toutes ces lumières, mais ce n'était pas suffisant pour l'apaiser. Ces conneries de fêtes allaient le tuer.

Il descendit à l'arrêt de bus suivant, mains dans les poches. Le froid lui mordit les joues et il plongea le nez dans le col de son manteau. Les rues piétonnes étaient désertes, mis à part quelques retardataires pressés de rentrer au chaud, en bonne compagnie.

Kier les enviait. Sa famille lui manquait, même s'il refusait de s'apitoyer dessus. Il avait honte de s'attacher à des fantômes qui avaient mis un point d'honneur à l'ignorer toute sa vie. Il y avait bien eu sa mère, au début, mais elle avait elle aussi fini par se lasser. Elle avait préféré partir avec le premier bijoutier du coin, plutôt que de rester avec son fils, c'était pour dire...

Il y avait certes Sadhi Ramjass — Jass de son surnom —, un étudiant en Faculté de Médecine qui vivait avec lui depuis un an dans un petit appartement du centre, mais ce n'était pas pareil. Ils évoluaient dans deux mondes différents et c'était à peine s'ils se croisaient. Leurs horaires ne collaient pas du tout et leurs caractères, encore moins. En résumé, ils s'entendaient juste assez pour cohabiter. Pour ce qui était de devenir amis, ils n'avaient jamais essayé. À quoi bon ? Ils n'avaient, ironiquement, pas le temps de se voir.

Pensif, l'adolescent s'alluma une cigarette à l'abri de la neige et leva les yeux vers la façade de l'immeuble d'en face. Les rideaux étaient ouverts sur une fenêtre du troisième étage ; on pouvait y apercevoir des silhouettes réunies autour d'un apéro. Ils avaient l'air de s'amuser, bien que la distance effaçât les traits de leurs visages.

Kier les observa une éternité, puis il détourna le regard en grimaçant et écrasa son mégot dans un cendrier public. Il se mit alors à parcourir la galerie marchande d'un pas rapide, se réchauffant par la même occasion. Son attention oscillait de gauche à droite, incapable de s'arrêter sur un point précis. Ses choix étaient réduits au minimum et rien de ce qui subsistait dans les rayons ne semblait à son goût. Il avait la poisse.

Cette année encore, il s'y était pris à la dernière minute pour parcourir les rues de sa ville, à la recherche d'un cadeau de Noël. Il n'avait pas eu le courage d'y aller après les cours, alors il avait tout reporté jusqu'aux vacances, sauf qu'elles étaient tombées plus tard que jamais. S'il avait su, il aurait fait ses courses le week-end dernier, au lieu de galérer le 24 au soir devant les devantures de magasins à présent quasi toutes fermées.

Pot de ColleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant