Le restaurant était plein. Pas le temps de réfléchir. Juste servir, sourire. Ne pas réfléchir. Ne pas penser à ce baiser échangé sous la pluie. Ne plus y penser... Argh ! J'y pense, là ! Pas question ! Servir. Sourire.
˗ Et Jack ! La table 7 est pas encore prête ! J'en ai besoin moi ! C'est pas le moment de flancher, là !
La voix de Rody, patron du Rook, me ramène à la réalité. Je cours essuyer et dresser la dite table. Je ne dois pas faire d'erreur. Je ne peux pas me le permettre. J'ai absolument besoin de ce job.
Une fois en cuisine, je récupère la commande 9 et je repars. Servir. Sourire. Rien d'autre. Surtout rien d'autre.
Les six adolescents étaient entrés en même temps dans un joyeux brouhaha de discussions sans intérêt. Manger au Rook après un ciné était une tradition à laquelle on ne dérogeait pas. Une règle fort peu contraignante à respecter, puisque chacun y trouvait toujours quelque chose de délicieux à y manger. Seule, Séléna faisait toujours la fine bouche. Mais que pouvait-on attendre d'une fille dont les repas étaient préparés chaque jour par un chef cuisinier. Rien. Surtout pas sortir avec le fils du chauffeur de son père. Et pourtant...
Quinto, un gaillard aussi brun qu'elle était blonde, taillé pour le football américain, était sa dernière marotte. Il avait résisté longtemps à ses avances. Il savait que la situation était délicate. Même si Séléna lui affirmait le contraire, il était conscient que son père risquait sa place si jamais ça se passait mal. Et par « passer mal », il voulait dire, si Séléna décidait de lui pourrir la vie pour une raison ou une autre. À lui de jouer finement, même si ça n'était pas toujours évident. Séléna n'était pas la fille la plus facile à vivre du lycée. Loin de là. Mais pour le moment, il s'en sortait pas mal, aux dires de ses meilleurs potes : Christopher et Hunter.
Parce que son père refusait de la laisser seule lorsqu'il travaillait de nuit, Christopher était venu avec sa petite sœur, Emily, une gosse d'à peine 15 ans, prête à tout pour entrer dans le club très fermé de son frère de deux ans son aîné. Et bien sûr, comme toute petite sœur qui se respecte, elle en pinçait pour Quinto et Hunter depuis qu'elle les connaissait. C'est à dire depuis l'âge des couches-culottes, puisque les trois garçons s'étaient rencontrés à l'époque des bacs à sable. Et bien sûr, les deux amis de son frère ne la voyaient que comme la petite sœur de leur pote. Elle n'avait aucune chance. Avec aucun d'entre eux. Même si, selon tous les autres garçons autour d'elle, Emily était de loin la plus belle fille de sa classe, voire du lycée.
Comme son frère, capitaine de l'équipe d'athlétisme, elle était toute en longueur. Une brindille fine et souple à la peau d'un lumineux chocolat et au regard vert inattendu. Ses cheveux, qu'elle refusait de lisser comme le faisaient beaucoup d'autres lycéennes afro-américaines au prix de nombreux efforts, formaient un halo sombre autour de son visage gracieux et délicat. Elle était belle. Voilà tout. Mais c'était peine perdue. Non seulement ces deux-là ne la voyaient pas, mais en plus, ils se montraient aussi protecteurs que son frère de sang. Ce qui se révélait un réel handicap quand il s'agissait de ses relations amoureuses. Cependant, elle était suffisamment rusée pour échapper de temps à autre à leur vigilance. Elle avait donc un petit ami. Un certain Andy qui claquait des dents en silence quand il voyait l'ombre de Christopher ou de ses potes se profiler à l'horizon. Surtout celle de Hunter.
Hunter était le plus prompt à en venir aux mains. Il était aussi le tombeur de la bande. Un type qui faisait craquer les filles avec son sourire en coin et ses yeux noirs. L'archétype du beau gosse, blanc, privilégié, aîné d'une famille dont la fortune n'était plus à prouver. Il était dans l'équipe de foot comme Quinto et fréquentait un club de boxe en cachette, car, selon son père, c'était un sport de voyous et de nécessiteux. Un vrai bonheur, son père.
En cet instant, Hunter tenait Virginia, sa dernière petite amie, par les épaules et la forçait à avancer vers la table centrale. La jeune fille, petite brune piquante aux yeux bleus, se laissait faire en riant. Elle était encore dans l'illusion de l'amour. Elle imaginait encore être celle qui réussirait à s'attacher le cœur de Hunter Stafford. Elle était nouvelle. Fraîchement arrivée d'un autre État. Une pure, innocente et consentante victime. Une fille qui ne passerait pas la semaine selon Christopher et Quinto. Ils avaient même parié que cette soirée serait la dernière passée en compagnie de Virginia. Il avait vu le regard de Hunter sur elle changer au cours des jours précédents. Toutefois, ils ignoraient si la raison de son désintérêt était juste la lassitude ou le ciblage d'une nouvelle proie. Hunter portait bien son nom. Alors, bye bye Virginia !
Ils s'assirent bruyamment et commandèrent sans même remarquer la serveuse. Seul Hunter eut un bref froncement de sourcil en la voyant.
Jacklyn eut un temps d'arrêt quand elle vit ceux qui s'étaient installés à la table 7. Pourtant, elle aurait dû s'en douter. Elle ne pouvait pas travailler au Rook sans jamais rencontrer personne de son lycée. C'était totalement impossible. Cet endroit était connu et apprécié des jeunes de la ville. En plein centre, avec une terrasse pour le moment fermée à cause du temps, et une carte bien remplie avec des tarifs avantageux.
Que demander de plus. Ah ! Si ! Une arrière salle dédiée à des jeux d'arcade. Rody était un gamer dans l'âme. Un vieux gamer, mais un gamer tout de même. Il trouvait amusant de mettre de vieilles bornes à disposition de cette génération ultra consommatrice d'images sophistiquées et archi trafiquées. Et contre toute attente, ça fonctionnait plutôt bien. Ce qui redonnait espoir en l'humanité au patron.
Il n'était donc pas étonnant à ce que ce soir-là, il y ait ces six là au Rook. Quatre d'entre eux ne lui posaient aucun problème. Elle les connaissait à peine. Les deux autres, en revanche... c'était une autre histoire. Aux yeux de Jack, Selena et Hunter représentaient tout ce qu'elle détestait chez un autre être humain : arrogance et mépris dus, selon elle, à une éducation très sélective et un trop plein d'argent.
Pourquoi avait-il fallu que Jess soit indisposée ? D'habitude, Jack se cantonnait à la cuisine : plonge et aide à la présentation des plats lui suffisaient amplement et remplissait bien ses soirées en général. Mais pas ce soir. Ce soir, il avait fallu dépanner Rody. Justement ce soir ! Le karma ! Toujours lui ! S'acharnant inlassablement pour faire de sa vie... Non. Ne pas penser à ça non plus.
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Ô sweet sweet fucking karma
Teen FictionPriorité numéro 1 : Réussir ses études. Priorité numéro 2 : Gagner assez pour se payer l'université Priorité numéro 3 : Tenter de déjouer le karma... Jacklyn Wilson ne devrait peut-être pas tenter cette troisième priorité, car à trop lutter, on se p...