Ô sweet sweet fucking karma

10/ Orgueils et préjugés

Seule dans la salle du club de physique, elle cogitait sévère.

Deux solutions s'offraient à elle : céder à Hunter le temps d'un rencart et tout faire pour qu'il se lasse, ou se battre et rester sur ses positions avec tout ce que cela comportait de petites vexations au quotidien.

La première solution paraissait la plus simple. « The easy way » comme aurait dit son père. Mais cela impliquait qu'elle cède. Cela impliquait qu'il gagne. Et quelque chose en elle (l'orgueil ?) se refusait à cette solution.

Elle allait se battre. Elle voulait se battre.

Il voulait jouer. Elle allait jouer. Elle ferait durer ce flirt indécent jusqu'à ce qu'il se lasse. Et il se lasserait. Personne ne l'avait jamais vu sans nana plus d'une semaine. La seule petite difficulté serait de jouer avec le feu sans se bruler. Ça n'était pas sa spécialité. Elle était plutôt cash. D'où la situation actuelle d'ailleurs. Si elle avait minaudé dès le départ, il ne se serait sans doute pas senti aussi investi à faire tomber le bastion qu'elle représentait.

Il lui fallait un plan de bataille.

Il lui fallait Martha.

Jack venait d'exposer la situation dans les grandes lignes à sa meilleure amie. Elle avait omis quelques détails pour ne pas raviver de mauvais souvenirs, mais dans l'ensemble, le tableau était plutôt complet.

˗ Mazette ! Et t'es là-bas que depuis quelques mois... Je savais que t'allais faire des ravages, mais à ce point-là ?

˗ Ça m'aide beaucoup, ça comme réflexion ! Merci ! Je te signale que j'ai besoin de conseils... En plus, je ne vois pas de quoi tu parles !

˗ Je sais que tu ne veux pas en entendre parler, Jack, mais tu es plutôt jolie, tu sais. Si tu sortais un peu la tête de tes livres, tu verrais qu'en réalité tu n'as jamais été invisible ! Enfin, pas depuis deux ans en tout cas. Tu sais, l'été des changements...

˗ Je ne suis pas moche, ok ! Mais je ne suis pas non plus une bombe ! Et je peux te dire qu'il y en a des bombes ici ! Un sacré paquet, même !

˗ Le pouvoir de l'argent ! Belles fringues, maquillage hors de prix et chaussures de rêve, je suppose...

Martha et Jacklyn adoraient les chaussures. Mais elles venaient toutes deux de milieux modestes. Pas les moyens de se payer ces superbes objets du désir qu'elles reluquaient le samedi au centre commercial ou dans les magazines de mode qu'Adèlaïde, la grande sœur de Martha, ramenait du cabinet dentaire où elle travaillait (la femme du dentiste les achetait tous).

˗ Tu suppose bien. Une tuerie ! Bon, on revient à mon problème.

˗ Mais on est en plein dedans, poulette ! Tu dis qu'il est canon ? Pourquoi tu n'en profites pas !

˗ Comment ça, Pourquoi j'en profite pas ?

˗ Si c'est le beau gosse le plus côté du lycée et qu'il te court après... Tu le fais languir un peu. Tu lui accorde une danse. Sage, hein, la danse ! Et tu le dégages vite fait ! Et bim ! Tu t'es chopé un beau gosse ! Tu l'as largué, ce qui fait de toi une fille super forte ! Et tu deviens populaire auprès de toutes celles qui se sont fait larguer avant toi ! In the pocket, poulette !

˗ Vu comme ça... mais je pense pas que ça sera aussi facile...

˗ Ça ne sera pas facile si toi aussi tu as des sentiments pour lui !

˗ Mais il n'a pas de sentiment pour moi ! Il veut juste un trophée de plus ! Une victoire de plus à la longue liste de ses conquêtes !

˗ Comment tu viens de noyer le poisson !!!

˗ Quoi ?!

˗ Tu as des sentiments pour ce mec !

˗ Non ! Bien sûr que non ! Il m'insupporte !

˗ Il t'insupporte comme Fred il y a deux ans ? Ou comme Marcus, il y a à peine quelques mois ?

˗ Marcus ne m'a jamais insupporté !

˗ C'est pas ce que tu disais au début quand il t'empêchait d'aller à la bibliothèque parce qu'il te rencontrait fortuitement au centre commercial et que tu n'arrivais pas à lui refuser un café !

˗ Bon, ok, mais avec Marcus, c'était différent...

˗ Différent comment...

˗ Je le connaissais. Il n'était pas arrogant comme Hunter. Il venait de mon milieu...

˗ Ah ! Ah ! On arrive au cœur du problème ! Tu aimerais mieux ce Hunter s'il n'était pas pété de thunes ! T'es vraiment pas normale comme fille ! Ce qui veut dire qu'en réalité il ne t'est pas indifférent !

˗ Martha ! Bordel ! T'es ma meilleure amie ou celle de Stafford !

˗ J'essaye de faire avancer le problème ! Et surtout j'essaye de trouver la solution la plus avantageuse pour toi. Marcus ne reviendra pas pour toi. Tu es libre comme l'air ! Profite ! Tu es la fille avec la tête la mieux faite de la planète, et contrairement à moi, la plus équilibrée. Tu peux arriver à gérer ça. Il faut juste que tu te calmes. D'ailleurs, je suis sûre que si tu réfléchis bien, ce Hunter t'énerve surtout parce qu'il te plait, mais qu'il fait trop le beau gosse. En d'autres termes, s'il était noyé dans notre bahut et qu'il était un peu moins beau, tu aurais sans doute répondu favorablement à ses attentions.

Jacklyn ne répondit rien à cette tirade. Comme toujours Martha avait sans doute vu juste. Elle était beaucoup plus perspicace qu'elle lorsqu'il s'agissait d'affaires de cœur. Quand Fred Polarski lui avait tourné autour, deux ans auparavant, il avait fallu que Martha explique à Jacklyn ce qu'il attendait en réalité, pour qu'enfin, elle réalise qu'elle avait là l'opportunité d'avoir son premier petit-ami...

˗ Je fais quoi, alors...

˗ Tu fais un mix de tes deux solutions. Tu résiste encore un peu, histoire de faire monter la sauce. Puis tu acceptes finalement...

˗ Sous certaines conditions !

˗ Si tu veux... sous certaines conditions... Puis tu danses, tu largues et tu triomphes...

˗ Je ne sais pas pourquoi, ça me parait trop simple.

˗ Fais-moi confiance ! C'est qui la meilleure pour les affaires de cœur ?

˗ C'est toi, Martha... Tu me manques tellement.

˗ Tu me manques aussi, poulette. J'essaye de trouver une autre super pote, mais aucune autre poulette ne convient...

˗ Moi non plus je ne trouve personne qui ...

˗ Laisse tomber... Toi et moi, c'est pour la vie ! Et on emmerde nos karmas merdiques !

Jacklyn éclata de rire. Une chose était sûre : Martha était sa meilleure amie pour toujours.