14/ Et on saupoudre le tout d'un peu de pression, s'il vous plaît !

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Les jours suivants furent terribles. Des affiches fleurirent dans tout le lycée pour annoncer le bal d'hiver. Les conversations allaient bon train. Chacun y allait de ses pronostics quant aux couples qui se formeraient ou espéraient se former durant l'évènement. Les filles parlaient toutes chiffons, y compris les plus réfractaires aux mondanités. Les garçons calculaient leur chance auprès des canons du lycée.

Jack rasait les murs. Tout ce fatras avait au moins un avantage, on ne s'occupait plus d'elle. Ou presque. Les membres du club de physique commencèrent à s'agiter aussi. Les olympiades se rapprochaient, il restait des problèmes à résoudre dans la programmation du robot. D'autant que Harry avait appris que le lycée St Artus, rival de toujours du leur, avait mis la barre très haut. Quel était cette barre ? Quel était réellement le niveau ? Il n'en savait rien, mais les rumeurs allaient bon train. Kyle et Donni voulaient absolument les écraser. La pression montait sévèrement.

Tout ça aurait pu se gérer facilement s'il n'y avait eu le reste. Le reste ? Stafford et Glendale. Hunter était très occupé à explorer les amygdales de sa vampire, et ce, dans tous les coins possibles du lycée. Jack ne pouvait pas prendre un couloir sans qu'elle les voit coller l'un à l'autre. C'était vraiment répugnant. Elle ignorait comment ils s'arrangeaient pour ne pas se faire toper par des profs ou le proviseur. Leur comportement n'était pas réglementaire. Loin, loin, loin, de là !

Le vendredi soir, ils s'étaient plaqués contre les casiers près du sien. Excédée, elle avait fini par leur lancer qu'il y avait des chambres pour ça, en claquant la porte de son casier. Elle n'avait pas vu le petit sourire de Hunter, ni n'avait entendu la réflexion sur sa jalousie de la part de Cherry. Elle était partie le plus vite possible de cet enfer.

Mais comme son karma de merde ne la lâchait pas, il se mit à pleuvoir à verse au moment où elle enfourchait son vélo. Et pour couronner le tout, Rody lui demanda de servir. Jess était « encore » indisposée. Ce soir-là, aucun client n'osa se plaindre de quoi que ce soit, et la bande de Stafford ne pointa pas le bout de son nez. Fort heureusement. Elle aurait eu du mal à se retenir de lui redécorer le portrait avec la moutarde. Histoire que sa pique un max et qu'il hurle pour une vraie raison.

Le samedi fut plus calme. Le Rook eut moins de clients que d'ordinaire. La faute à une pluie torrentielle qui n'incitait personne à sortir, même pas pour déguster les délicieuses gaufres de Rody. Le rangement de la salle fut plus rapide que prévu, ce qui permit à Jack de mettre son vélo dans le bus. Enfin, une éclaircie...

Le dimanche, Genna la laissa dormir tard. Mais elle n'avait pas oublié son rendez-vous avec le passé. Elle s'était préparée. Avait ouvert la malle seule pour voir si elle était capable de supporter la vue de son contenu sans pleurer. Toutes ces robes lui rappelaient tant de merveilleux moments passés avec Karl. Elle avait tenu bon. Finalement, la joie et le bonheur éprouvés à se souvenir l'emporta sur la tristesse d'avoir perdu l'homme qu'elle aimait.

Une fois le petit déjeuner englouti, Jack et Genna se mirent à sortir les trésors de la malle. Il y avait des robes de toutes sortes, des courtes, des longues, avec ou sans paillette, avec ou sans manche, avec des décolletés plongeants ou col danseuse. Avec des plumes, des broderies, des jours... des jours ?

Elle leva la robe qu'elle tenait dans ses mains pour tenter de comprendre comment sa mère avait pu porter une robe aussi osée et danser avec, en plus !

˗ Ah ! Ah ! Ah ! L'objet du délit ! s'exclama Genna en riant.

˗ L'objet du délit ?

˗ Cette robe, ma chérie, a subjugué plus d'un homme l'unique soir où je l'ai porté. J'avais déjà rencontré ton père. Nous nous tournions autour sans nous avouer que nous nous plaisions. J'imagine que c'est encore comme ça aujourd'hui ! Bref, nous avions rendez-vous avec des amis dans un club. Je voulais qu'il se décide enfin à me dire les mots que j'attendais de lui. J'avais fait cette robe sans que mon père ne la voit. Jamais il ne m'aurait autorisée à la mettre, tu penses bien !

Jack imaginait très bien la colère que son grand-père aurait déchaîné en voyant sa fille habillée comme ça. Lui qui était si rigoureux et stricte sur les codes vestimentaires.

˗ J'avais dû ruser... j'étais descendue en manteau et ne m'étais pas arrêtée dans la cuisine pour leur dire au revoir. Mama avait compris. Pas papa. J'ai récolté le savon plus tard. Au retour.

˗ Et tu as dansé avec ça ?

˗ Oh, que oui ! Et bien dansé en plus. En fait, j'avais mis en dessous un justaucorps de gym de couleur chair...

˗ Rusée...

˗ Je n'allais quand même pas me mettre vraiment toute nue ! Mais ça à fait le job. Dans le club mal éclairé, on y a vu que du feu ! Ton père a dansé avec moi et ne m'a plus jamais quitté. Par contre il m'a interdit de remettre cette robe !

˗ Tu m'étonnes !

˗ Donc pas celle-là pour le bal d'hiver. À moins que tu ne veuilles enflammer le cœur de tous les garçons du lycée.

˗ Avec une telle robe, c'est pas le cœur que j'enflammerais à mon avis... ça se passerait plus bas !

˗ Jacklyn !!!! s'exclama sa mère en rigolant.

Jack sourit et sortit la robe suivante. Avant même de la déplier en entier, elle sut que ce serait celle qu'elle choisirait. Une coupe année cinquante. Un tissus léger et souple gris perle, une encolure drapée sur les épaules, une jupe évasée qui descendait juste ce qu'il faut pour danser, ni trop courte, ni trop longue. Et sur le haut du corsage, comme une vague, de microscopiques éclats de perles translucides. La robe parfaite pour un bal.

˗ Celle-là aussi est spéciale, dit Genna, en la prenant dans ses bras. C'est la robe que je portais la première fois que j'ai rencontré ton père. C'était à un cocktail. Des amis de mes parents fêtaient je ne sais plus quoi. Nous étions invités. Mes sœurs et moi, nous avions toutes travaillé sur nos robes, avec plus ou moins de réussite. Notre père avait dû reprendre entièrement la robe d'Olivia complètement ratée. La pauvre en avait pleuré jusqu'à ce qu'elle voit le travail de notre père. Sa robe était très belle. Jaune soleil. Une petite merveille. Je trouvais la mienne bien terne à côté. C'est ma mère qui a eu l'idée d'ajouter les perles. Après cela, nous étions le soleil et la lune. Quant à Julia. Sa robe était égale à elle-même, sobre et sans attrait. Notre aînée refusait toujours de se conformer aux codes que nous inculquaient notre père. Elle aurait préféré venir en pantalon.

˗ Et papa était là.

˗ Oui. Il était là. Pas très à l'aise. Il était un ami du fils de la famille qui invitait. Il était chez eux pour les vacances. Cet après-midi-là avait été étrange. Nous avions l'impression d'avoir pris une machine à remonter le temps, d'être retourné dans les années cinquante. Il faut dire que la plupart des adultes faisaient partie d'un club de danse de salon. Alors ça dansait comme à cette époque-là. Nous, nous n'osions pas nous déhancher comme nous le faisions sur nos musiques... et puis, finalement, nous avons dansé comme nos aînés. C'était magique.

Genna soupira en fixant la robe longuement. Elle souriait. Jacklyn sentit un tel élan de tendresse pour sa mère à ce moment-là qu'elle l'enveloppa de ses bras et l'embrassa sur la joue.

˗ Tu me permettrais de la mettre pour le bal. Je serais très fière de la porter à mon tour.

˗ Et qui sait ? Tu rencontreras peut-être l'homme de ta vie là-bas...

Ça, Jacklyn en doutait fortement.

Ô sweet sweet fucking karmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant