Ô sweet sweet fucking karma

22/ Croire à la vérité et se tromper soi-même

˗ Non aucun, Père Patrick, s'empressa-t-elle de dire en poussant Hunter vers la sortie. Deux de mes camarades de lycée sont venus ce soir pour voir ce qu'était le vrai chant choral. Je crois que l'un d'eux est tombé sous le charme de Camélia.

Hunter n'avait pas protesté. Il s'était laissé guider sans rien ajouter.

˗ Et le second, est tombé sous ton charme, dit malicieusement Père Patrick en observant la porte se refermer sur le dos de Hunter.

˗ C'est un peu plus compliqué que ça.

˗ Vraiment ? Je sais reconnaître un homme amoureux. Je dirais même que celui-là est hanté par l'amour. Un romantique sans doute.

Jack faillit éclater de rire. Qualifier Hunter Stafford de romantique avait de quoi provoquer l'hilarité.

˗ Pas vraiment. Plutôt un enquiquineur de première et un bagarreur.

˗ Hanté par l'amour, ma petite, dit simplement le curé en la suivant le long de l'allée pour rejoindre les autres choristes. Certain homme trouve le salut comme ça.

˗ Certains peut-être, mais pas Hunter Stafford. Croyez-moi. Et puis, il n'est pas encore un homme.

˗ En es-tu sûre ? demanda le Père Patrick en la retenant pas le bras un bref instant. Susciter un tel élan chez autrui n'est pas anodin, reprit-il en la scrutant avec attention. Cela transforme. Cela interroge.

˗ Je sais. Des interrogations, j'en ai beaucoup. Mais très peu de réponses. Alors je préfère me concentrer sur ce qui compte vraiment.

˗ L'amour ?

˗ Non, Père Patrick. Mes études. Mon avenir. Celui de ma famille.

Il était temps de se quitter. Jack avait vu Camélia et Kyle s'échanger leurs numéros. Elle était heureuse pour eux. Ces deux-là s'étaient trouvés grâce à elle. Chacun unique en leur genre. Deux étincelles dans des domaines sans lien ou presque. Un coup de foudre. Dans une église, en plus !

Finalement, si son karma était merdique, il parvenait à faire des choses biens pour les autres. Elle allait aussi devoir réfléchir à ça.

Évidemment, Hunter attendait Jack à la sortie. Adossé à sa voiture, les bras croisés sur la poitrine, il échangea un signe de tête avec Kyle, lui signifiant que c'était bon pour lui. Kyle alla récupérer sa propre voiture sans même penser qu'il avait échappé à la raclée de sa vie en tombant amoureux de Camélia. Il était sur un nuage et observait l'horizon dégagé de l'amour. Rien ne pouvait obscurcir cet horizon. Et certainement pas Hunter.

Jack ouvrit son cadenas et prit son vélo comme si Hunter n'avait pas été là. Le coffre de la voiture s'ouvrit au moment où elle passa à côté.

˗ Monte, dit-il.

˗ Dans ton coffre ?

˗ Le vélo dans le coffre. Toi, à l'avant.

˗ Non.

Hunter, qui attendait devant le dit coffre, la fixa durement.

˗ Arrête de me contredire tout le temps.

˗ Arrête de tenter de diriger ma vie tout le temps.

Il soupira.

˗ Il faut qu'on parle.

˗ Pas maintenant. Je dois rentrer. Ma mère doit m'attendre. Tu sais, dans mon taudis à quelques kilomètres d'ici, répliqua-t-elle en enfourchant son vélo.

En une seconde, il fut près d'elle, la main sur le cadre du vélo pour l'empêcher de fuir.

˗ Tu ne me facilites pas la vie.

˗ Ah ! Ah ! Ah ! Parce que toi, tu me la facilites, peut-être ? C'est l'hôpital qui se fout de la charité !

Leurs visages étaient si proches qu'elle sentait son haleine. Tabac ? Menthe ? Alcool ????

˗ Est-ce que tu as bu ?

˗ Bon dieu ! Qu'est que ça peut faire ce que j'ai ingéré avant de venir ?

˗ Tu as raison. Rien. Je m'en fous. Comme de tout ce qui te concerne.

˗ C'est faux.

˗ Non.

Sa dernière réponse avait claqué dans l'air froid du soir. Hunter lâcha le vélo. Elle vit passer toute une ribambelle de sentiments sur son visage et se reprocha d'avoir été si dure. Puis, elle se souvint de tout ce qu'elle endurait à cause de lui.

Mais quand même, ce genre de réponse, ça n'était pas elle. Surtout sur ce ton.

Paradoxe et contradiction.

Hunter retourna à sa voiture, ferma le coffre violemment et s'inséra à l'avant sans démarrer pour autant. Les mains serrées sur le volant, la mâchoire crispée, il fixait un point devant lui. Jacklyn n'était pas partie non plus. Elle l'observait, tandis que les paroles du Père Patrick tournait dans sa tête. « Un homme hanté par l'amour ». C'était impossible.

˗ Je m'excuse, murmura-t-elle d'une voix à peine audible avant de se mettre à pédaler en direction de chez elle.

Hunter ne la suivit pas. Il resta un long moment immobile dans sa voiture. Puis, il prit la direction du club de boxe. Il avait besoin de frapper quelque chose, voire quelqu'un.

Genna avait attendu le retour de sa fille. La savoir sur ce vélo dans l'obscurité hivernale ne la rassurait pas. Pourtant, elle ne pouvait pas lui interdire de l'utiliser. Elle n'avait les moyens ni de lui payer le permis, ni une voiture, et les transports en commun étaient si aléatoires. Alors, elle prenait sur elle. Jack avait presque 18 ans. Il fallait qu'elle fasse ses propres expériences.

Sans compter qu'elle était suffisamment mature pour savoir ce qui lui convenait le mieux. Même si cela impliquait de prévoir des vêtements de rechange dans son sac en cas de forte pluie.

Genna posa les yeux sur les documents étalés sur la table.

Ses propres expériences...