8/ Le karma, gna, gna, gna...

790 96 10
                                    

La voiture roulait à vive allure. Aucun des deux occupants ne parlait. Jacklyn tenait les morceaux de son téléphone dans le creux de sa main. Elle en aurait pleuré. Un nouveau téléphone lui couterait bien plus que sa paye de la semaine. Elle avait été d'une telle stupidité ! Et en plus, il fallait que Stafford soit témoin de sa déconfiture ! Et qu'il lui rende encore service ! Elle enrageait, mais ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Si seulement le Rook n'avait pas été si loin. Si seulement elle n'avait pas loupé ce fichu bus. Si seulement Stafford n'avait pas été là !

Elle jeta un œil à Hunter. Mâchoire crispée. Mains serrées sur le volant au point de faire blanchir ses articulations. Conduite sèche, nerveuse. Il était furieux. Il lui faisait un peu peur. Il remarqua son regard posé sur lui.

˗ Tu te rends compte que tu aurais pu te faire agresser ! lâcha-t-il avec colère.

˗ Je m'en rends très bien compte, répondit-elle sur la défensive.

Il n'allait quand même pas lui faire la morale ? Pour qui se prenait-il ? Et puis, c'était sa faute si elle avait pris par le square. Bon, c'est vrai que c'était idiot de le fuir comme ça, mais il n'avait qu'à pas être aussi... aussi ! Et puis, merde ! Elle avait pété son téléphone ! Lui, il s'en foutait ! Il pouvait s'en acheter dix !

La colère monta d'un coup.

˗ Putain ! Tu ne peux pas te mettre en danger comme ça ! Tu ne peux pas...

˗ Ça suffit ! Tu n'as aucun droit de me parler comme ça ! Tu n'es pas mon père ! Et puis, c'est en partie de ta faute tout ça ! s'écria-t-elle avec véhémence en levant sa main pleine de morceaux de téléphone.

˗ De ma faute ! s'exclama-t-il stupéfait.

Il gara brusquement sa voiture le long d'un trottoir. La pluie s'était remise à tomber drue. Elle formait une rivière ininterrompue le long du pare-brise. Il la fixa, toujours en colère.

˗ De ma faute, répéta-t-il.

˗ Oui, de ta faute ! Qu'est-ce que tu faisais là ! Tu me suivais ? Tu es trop bizarre avec moi ! Tu ...

˗ Trop bizarre ? Bordel ! J'aurais dû te laisser courir sous la flotte les dix bornes qu'il te restait pour rejoindre ton taudis ! Désolé, mais on ne m'a pas élevé comme ça ! Je vois quelqu'un que je connais en difficulté, je lui viens en aide !

˗ Mon taudis ! Putain, tu te prends pour qui ? Ah oui, pardon ! Je suis ton œuvre de charité ! C'est ça ! Un grand merci, monseigneur, pour votre bonté !

Il tapa sur le volant, mais ne répondit rien. La voiture redémarra. Ils firent les derniers kilomètres en silence. Elle, le visage tourné vers la fenêtre. Lui, les yeux rivés à la route. Lorsqu'enfin il arriva devant l'immeuble où elle habitait, elle ouvrit précipitamment la porte pour fuir l'atmosphère pesante de l'habitacle. La voiture redémarra en trombe l'arrosant au passage. Elle se mit alors à crier tout un chapelet d'injures que n'aurait pas renié un matelot aviné.

Heureusement pour elle, sa mère état de garde cette nuit-là. Elle ne vit donc pas sa fille rentrer trempée avec une tête effroyable. Lorsque Jack se vit dans le miroir de la salle de bain, elle eut un hoquet de stupeur. À aucun moment elle n'avait songé à la tête qu'elle pouvait avoir. Et maintenant qu'elle la voyait, elle se demandait comment Stafford avait pu prendre le risque de la faire monter dans sa voiture. Si jamais on les avait vu, sa réputation de tombeur en aurait pris un coup, c'est sûr. Elle était méconnaissable et hideuse. Sans compter qu'elle avait imbibé son siège avant de voiture. Elle était prête à parier qu'il lui faudrait le changer.

Au lieu de s'en affliger, elle s'en réjouit. Bien fait pour sa pomme ! Tout était de sa faute !

Elle se mit dans la douche toute habillée et fit couler l'eau chaude pendant qu'elle ôtait ses vêtements un à un. Elle les laissa à ses pieds, dans l'eau sale qui s'écoulait de son corps. Elle retira ce qu'il restait de l'élastique qui avait retenu une partie de ses cheveux en queue de cheval pendant la soirée au Rook, mais qui n'avait pas bien vécu la course sous la pluie, la fuite dans le square et son retour en général. Ses longs cheveux emmêlés se répandirent dans son cou et sur son visage sur lequel le maigre maquillage qu'elle s'autorisait, avait été transformé en peinture de guerre par la pluie. Hideuse.

Une fois lavée, elle regroupa ses vêtements dans un sac poubelle. Elle les descendrait le lendemain à la laverie qui se trouvait au sous-sol de l'immeuble. Elle ne laissa rien traîner. Sa mère ne devait pas savoir. Même pas pour le téléphone. Ce qui allait se révéler plus difficile.

Elle s'effondra enfin sur son lit et s'endormit sans attendre, sans plus penser à rien, et surtout pas à Hunter Stafford.

Le dimanche passa très vite. Aller à l'église et chanter la rassénéra. Éviter les questions de sa mère sur sa soirée fut un jeu d'enfant. Il suffisait de détourner la conversation sur des sujets triviaux, mais bien évidemment importants, comme le dernier couple de star à la mode ou le dernier film qu'elles ne verraient probablement jamais au cinéma, mais qu'elles attendraient à la télé. Genna adorait lire toutes les revues people, surtout quand elle était de garde de nuit.

Jacklyn avait aussi fait la totalité des devoirs qui lui restait pour se libérer du temps dans la semaine. Puis toutes ses pensées s'étaient focalisées sur un moyen de se procurer plus d'argent ou un nouveau téléphone. Si elle n'avait pas déménagé, sûr que le cousin de Martha lui aurait trouvé quelque chose...

Elle ne devait pas penser comme ça. C'était mal ! Le vol était mal ! Que ce soit elle qui le pratique ou qu'elle le fasse pratiquer par un autre. Puis, elle pensa au magasin de matériel d'occasion qui se trouvait dans le quartier du Rook. Peut-être pourrait-elle y trouver un téléphone abordable ? Elle pourrait aussi faire plus d'heures au Rook pendant les prochaines vacances pour compenser la dépense. Il faudrait qu'elle trouve le temps d'y aller rapidement...

Martha s'invita en fin de journée. Elle n'avait que James à la bouche. Jack n'eut pas le cœur de lui parler de sa mésaventure. Non seulement parce qu'elle vivait dans l'euphorie amoureuse, mais aussi parce que le récit aurait pu lui en rappeler un autre qui, lui, s'était beaucoup moins bien terminé. Ça aurait été cruel.

Jacklyn se sentit effroyablement seule. Elle se plongea dans son projet pour les olympiades. Il y avait encore un ou deux points qu'elle devait peaufiner.

À aucun moment elle ne pensa à Hunter Stafford. Enfin presque. Elle avait quand même fini par devoir regarder les choses en face. Sa réflexion s'était achevée sur la prise de deux décisions importantes : Ne plus être tributaire de qui que ce soit ou de quoique ce soit pour se déplacer. Elle prendrait désormais son vélo. Et ignorer Stafford et sa clique. Quand il lui demanderait un vrai service, elle s'exécuterait du mieux qu'elle pourrait (mais ne lui devait-elle pas deux services désormais ? Non ! La perte de son téléphone compensait largement le trajet en voiture...), mais n'aurait aucune autre espèce de relation avec lui.

Il fallait que les jours à venir soient comme la fin de semaine précédente : paisible et consacrée à l'étude. Rien d'autre ne comptait.


Ô sweet sweet fucking karmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant