3/ Pas moyen d'y échapper. La terre ne sera jamais assez grande

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Le problème était le suivant : Hunter Stafford l'avait sorti d'un mauvais pas. Elle lui devait donc un service. Mais l'avait-il fait délibérément ou parce qu'il en avait marre de la situation que provoquait Selena ? Parce que dans ce dernier cas, s'il ne l'avait pas fait pour Jack, ce dont elle était quasi convaincue – Pourquoi aurait-il fait quelque chose pour elle ? Ils ne se connaissaient pas, ni ne s'appréciaient particulièrement -, Jack ne lui devrait rien.

Comment savoir ?

Bien sûr, elle aurait pu aller à sa rencontre et le remercier de son intervention. C'est ce que toute personne normalement constituée et raisonnable aurait fait. Mais Jack avait un autre problème. Elle ne pouvait accepter l'idée de devoir remercier ou rendre un service à un type qu'elle ne supportait pas par ailleurs. Elle était sûre qu'il se montrerait suffisant. Elle imaginait déjà son regard en coin et son petit sourire. Elle ne pouvait pas aller lui parler. Parce que ça aussi serait un problème. Parce qu'elle avait beau se dire qu'il était tout ce qu'elle détestait, comme 95 % des filles du lycée, elle n'ignorait pas non plus qu'il était incroyablement attirant. Les 5% restant étant des filles que les garçons n'attiraient pas. Il était toujours plus difficile d'être impartiale et stoïque face à quelqu'un d'attirant. Et elle était prête à parier qu'il en jouerait en plus.

C'était complexe.

À première vue, elle n'avait qu'une solution : se faire discrète et espérer qu'il ne l'ait pas reconnue. Après tout, il y avait un paquet de filles dans ce lycée. Il y avait peu de chance qu'il sache qu'elle y était aussi élève. Il n'avait jamais dû la voir, ni la remarquer, même s'ils avaient un ou deux cours en commun. C'était certain. Son plan avait donc une chance de réussir.

C'était sans compter son karma, bien sûr...

Jack alla s'asseoir au fond comme à son habitude depuis qu'elle avait fait sa rentrée dans le Lycée Sainte Croix, deux mois plus tôt. Les TP de physique-chimie était toujours un bon moment pour elle, même s'il fallait parfois les partager avec une ou un parfait inconnu inintéressant et souvent peu intéressé. Un autre élève de la classe, en somme.

Elle avait pris l'habitude de tout prendre en main ce qui satisfaisait son binôme, le plus souvent silencieux, voire mutique. C'est qu'elle en impressionnait plus d'un sans le savoir. Son air déterminé, ses gestes maîtrisés – beaucoup plus qu'au Rook en tout cas – et ses connaissances illimitées en la matière, servaient de garde-fou et imposaient le silence.

Ce cours ne serait pas différent. Elle s'en réjouissait. Jusqu'à ce qu'un sac à dos sombre couvert de badges et d'inscriptions en tout genre, se pose sur la table près du sien. Elle soupira profondément. Elle n'y échapperait pas donc. Le lycée n'était définitivement pas assez grand. Car, étant donné que la salle n'était pas encore pleine, il n'y avait aucun doute possible sur le fait qu'il ait choisi délibérément de s'asseoir à côté d'elle à ce cours.

Hunter ne se tourna pas vers Jack. Ne lui dit pas bonjour. Il se contenta de prendre de quoi écrire. Au moins avait-il l'intention de suivre le TP. Une petite lueur d'espoir continua à trembloter dans le cœur de la jeune fille. Si elle ne parlait pas, peut-être que lui non plus ?

˗ Salut.

Merde, merde, merde et merde, pensa-t-elle avant de répondre en marmonnant d'un ton peu amène.

Il lui jeta un bref coup d'œil. Elle n'aurait su dire s'il était étonné, contrarié ou amusé puisqu'elle s'obstinait à fixer d'abord le tableau, puis le prof qui arrivait. C'était cohérent, après tout. Ils étaient là pour étudier. Pas pour faire connaissance, chambouler les concepts mondiaux, et notamment ceux qui régissaient sa vision de la vie en général.

˗ Alors, tu travailles au Rook après les cours.

Le ton était neutre, mais elle sentait une pointe d'un petit quelque chose d'indéfinissable dans cette simple affirmation. On y était. Bon. Pas moyen d'y échapper. Ok. Autant y aller. La meilleure défense étant l'attaque...

˗ Brillante déduction.

Nouveau coup d'œil. Nouvelle interrogation.

˗ Ola ! Pas la peine d'être agressive.

˗ Je ne suis pas agressive, dit-elle d'un ton qui contredisait ses paroles.

˗ Ok. Je me demande ce que ça doit donner quand tu l'es, répondit-il en souriant.

Sourire en coin. Un point pour lui. Il paraissait évident maintenant qu'il lui avait délibérément rendu service au Rook. Elle aurait préféré l'autre solution. Celle où elle n'aurait pas eu à s'excuser. Et en plus, elle en rajoutait en s'énervant sans aucune raison. Il lui avait juste dit trois mots... Ahhh ! Elle ne voulait pas de cette conversation. Encore moins ici et maintenant. En fait, nulle part et jamais... mais ça.... L'étincelle d'espoir continuait sa gigue. Peut-être abandonnerait-il la partie si elle se montrait suffisamment revêche ?

Elle haussa les épaules, seule attitude qu'elle pouvait choisir durant un cours qu'elle aimait et qu'elle avait l'intention de suivre.

Le prof énonça les prérequis de l'expérience du jour, et Jack ne se fit pas prier. Elle s'appliqua immédiatement à réussir l'exercice pratique qu'on leur demandait. Comme à son habitude, elle prit les choses en main ne s'attendant pas à ce que son binôme réagisse. Sauf que cette fois, il ne s'agissait pas d'un inconnu qui ne souhaitait rien d'autre que d'être tranquille en fond de classe. Il s'agissait de Hunter Stafford, brillant élève du lycée quand il s'en donnait la peine.

Il commença par l'observer. Puis, sans qu'elle ne puisse rien y faire, il s'immisça dans la manipulation. Aucun mot ne fut échangé. C'était comme de travailler avec son ombre. Et ça n'était pas pour lui déplaire, en fin de compte. Elle n'aurait pas cru un type comme lui capable d'autant d'application. Elle savait qu'il devait viser une prestigieuse université et elle ne doutait pas qu'il l'obtienne. Quel que soit son implication et ses frasques. On lui pardonnait tout. Y compris de briser des cœurs, des virginités et des nez. Hunter était voué à un avenir aussi brillant que celui des autres hommes de sa famille.

Alors qu'elle, on attendait juste qu'elle se plante, qu'elle tombe enceinte, ou qu'elle disparaisse tout simplement. Surtout dans un lycée comme celui-là. Un lycée qui n'acceptait que très peu d'élève boursier. Voire pas du tout. Elle était le dossier avant le « pas du tout ».

Toute à ses réflexions, Jack ne remarqua pas immédiatement l'application que mettait son binôme à ranger ses affaires alors qu'elle s'affairait elle-même, à remettre la table en ordre avant de quitter le cours. Il l'attendait, c'était évident.

Pas moyen d'y échapper.

Ô sweet sweet fucking karmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant