7/ Le calme avant la tempête ou se croire à l'abri dans l'œil du cyclone

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La fin de la semaine fut calme. Hunter Stafford avait semble-t-il autre chose à faire que s'occuper d'elle. Elle s'arrangea avec une autre élève, Cléa Miller, pour avoir un binôme attitré en physique-chimie et se plaça au premier rang en histoire, entre la fenêtre et le bureau du meilleur élève, un garçon silencieux et attentif. Tout ce qu'il lui fallait. Elle sentait le regard de Hunter dans son dos, mais ne lui laissait aucune opportunité de l'approcher. Elle était toujours la première partie et faisait en sorte d'aller à son casier le moins possible. La bibliothèque était devenue un refuge, où sous l'œil vigilant de la bibliothécaire, elle travaillait en silence loin des papotages des autres élèves.

Elle échappa à la cantine en se préparant des sandwichs et finissait ses après-midis avec les membres du club de physique appliquée, avant de passer ses soirées au Rook. Quand elle rentrait enfin à la maison en bus, elle était épuisée, mais satisfaite.

Le samedi soir, elle n'approcha pas la salle du restaurant, sauf pour déposer les corbeilles de pain et les carafes d'eau qu'elle préparait en cuisine. Rien n'attira son attention. Lorsque la fermeture arriva, elle se démena pour finir et ne pas avoir à revenir le lendemain. Rody la félicita et la paya avant qu'elle ne sorte pour prendre le dernier bus.

Qu'elle rata de peu.

Elle retourna au Rook dans l'espoir d'y trouver encore le patron, mais ce dernier était déjà parti, convaincu qu'elle était en route pour son domicile. Elle se retrouva seule dans cette rue si animée en temps normal, mais plus du tout à cette heure de la nuit.

Et pour compléter le tableau, comme si ça ne suffisait pas, il se mit à pleuvoir à verse.

Sa mère étant de garde, deux choix s'offraient à elle : payer un taxi et donc dépenser une bonne partie de la paye de cette semaine ou rentrer à pied avec tout ce que ça impliquait comme danger et comme fatigue supplémentaire. Sans compter qu'elle attraperait sans doute la crève à marcher sous ces torrents d'eau.

Elle pensa à l'argent qu'elle avait glissé dans son portefeuille. Tout cent dépensé ne serait jamais rattrapé. Elle en était parfaitement consciente. Et elle en faisait déjà beaucoup, elle ne pouvait faire plus. À moins de trouver un travail mieux rémunéré. C'était possible. Mais alors les horaires seraient moins flexibles, et le patron, sans doute moins compréhensif.

Décision prise. Elle allait marcher.

Elle ne mit pas longtemps avant de se mettre à courir. Elle raccourcit la bandoulière de son sac pour qu'il ne lui batte pas le flanc et s'astreint à repenser aux conseils de Marcus pour économiser son souffle et tenir le plus longtemps possible. Le jeune homme l'avait convaincue de la nécessité de faire du sport. Il l'avait initiée à la course à pied, lui avait appris quelques mouvements d'autodéfense et l'avait ridiculisée plusieurs fois à la piscine. Il était définitivement fait pour l'océan. Il nageait comme un poisson.

Sans s'en rendre compte, elle s'était mise à sourire. Penser à Marcus lui faisait toujours du bien. Même si elle savait qu'ensuite, une vague de mélancolie la submergeait. Pour le moment, elle avait juste besoin de la joie qu'elle avait eu à se perdre en lui.

Plusieurs fois, des voitures ralentirent en la dépassant. Aucune ne s'arrêta cependant. Elle frémissait d'imaginer les prédateurs qui rodaient à cette heure. Elle aurait voulu aller plus vite, mais elle en avait déjà plein les jambes et elle était encore loin.

Puis une énième voiture arriva. Cette fois, elle s'arrêta. La silhouette qui en sortit lui était familière, mais Jack préféra la dépasser. Elle entendit quelqu'un hurler son nom dans son dos, ce qui l'arrêta net, cette fois. Hunter Stafford était là, trempé lui aussi, maintenant qu'il se tenait debout sur le trottoir.

˗ Tu comptes prendre racine ? Putain ! Monte avant qu'on ne se noie tous les deux ! cria-t-il avant de remonter en voiture.

Jack hésitait.

Elle allait lui devoir un second service. C'était tendre le bâton pour se faire battre. Elle ne pouvait pas non plus se le permettre. Ce type était bizarre avec elle. Qui lui disait qu'il ne s'en prendrait pas à elle, une fois dans sa voiture ? Ça n'aurait rien eu d'étonnant. Et avec ce qui était arrivé à Martha, elle se méfia.

La fatigue et la suspicion ne forment pas le meilleur tandem pour éclaircir l'esprit et orienter vers les bonnes décisions. Elle se retourna et piqua un sprint. Elle ne pourrait pas le semer ici, mais, un peu plus loin, elle couperait à travers le square.

La voiture démarra en trombe. Elle l'entendit jurer par les fenêtres qu'il tenait ouvertes. Jusqu'à ce qu'elle pousse la grille du square et qu'elle se retrouve sur le sentier qui serpentait entre les arbres... et les junkies. Elle avait oublié ce détail pourtant essentiel. Dans ce quartier comme ailleurs, les espaces verts si agréables en journée, étaient de vrai coupe-gorge la nuit. Elle accéléra sous les interjections de ceux qui la voyaient passer.

Elle pensa qu'elle allait s'en sortir en voyant une seconde grille à moins de 10 mètres, quand trois silhouettes apparurent en travers de son chemin. Elle ne s'arrêta pas pour autant. S'arrêter, c'était mourir à coup sûr, ou au moins se retrouver à l'hosto dépouillée, violée et battue à mort. Elle bifurqua entre les arbres et entreprit de se planquer. Malheureusement pour elle, elle ne connaissait pas bien le square. Elle avait dû s'y promener une fois ou deux. Il était beaucoup plus grand qu'elle n'imaginait. C'était limite un parc.

Mais qu'est-ce qui lui avait pris de rentrer dans ce putain de square ! Ah oui ! Hunter Stafford !

Elle déboucha sur une trouée vide en apparence, mais emplie de gémissements qui ne laissaient aucune place à l'imagination. Elle reprit sa course à l'aveugle, manqua s'étaler sur un couple en pleine action, retrouva un bout de sentier qui menait à une autre grille. Son cœur était sur le point d'exploser quand elle sortit enfin de ce piège à rat. Elle courut encore sur cent mètres avant de s'arrêter pour reprendre son souffle, adossée au tronc majestueux d'un arbre qui bordait une avenue... qu'elle ne connaissait pas !

Elle s'était perdue.

Même si la pluie avait cessé, cette nuit était un véritable cauchemar. Si elle voulait en sortir indemne, il lui fallait un taxi. N'en voyant nulle part, elle décida d'en appeler un.

˗ Bon dieu, mais t'es une vraie malade, toi ! s'exclama une voix derrière elle.

Elle sursauta, fit tomber son téléphone qui se fracassa au sol, et fixa éberluée celui qui venait de s'adresser à elle. Poings serrés, Hunter Stafford était debout, légèrement essoufflé et trempé comme elle.

Ô sweet sweet fucking karmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant