Ô sweet sweet fucking karma

15/ Pluie de météorites en prévision

Les deux semaines suivantes furent apocalyptiques, et paradoxalement, assez sereines. La charge de travail scolaire augmenta de manière exponentielle. Les enjeux étaient immenses, et les résultats devaient être au rendez-vous.

Jack ne se préoccupa plus de rien, ni de personne. Elle rasait les murs, écouteurs sur les oreilles. Elle mangeait seule avec des bouquins ouverts autour d'elle. Elle ne relevait pas les coups d'œil de Hunter qui, lui-même, semblait très occupé à assurer ses résultats sans en avoir l'air, bien sûr.

Le principe même du type cool.

Durant les deux cours de physique-chimie qu'il passa près de Jack, il se contenta de la regarder ou de lui effleurer le bras. Accidentellement, bien évidemment. De toute façon, Cherry Glendale veillait au grain. Elle était toujours à moins de deux mètres de lui, l'attendait pour chaque intercours et mangeait collée à lui. Il ne semblait pas désapprouver cette jalousie maladive. En réalité, il semblait s'en contrefiche complètement. Cherry aurait aussi bien pu ne pas être là. Il posait son bras sur ses épaules par habitude et l'embrassait goulûment comme toutes les filles qu'il avait embrassée avant elle.

Il paraissait pourtant évident qu'il irait au bal avec elle. Elle parlait tout le temps de sa robe « fantastiqueeee », à tomber... Selena ne s'était toujours pas lassée de Quinto et rivalisait d'adjectif et de superlatif avec la vampire pour décrire sa propre robe. Quant à Christopher, il avait enfin décidé qu'il était temps de se trouver un partenaire de jeu à son goût. Il avait jeté son dévolu sur Darren, un autre coureur de l'équipe d'athlétisme qui n'allait pas jusqu'à partager ses repas avec la bande, mais acceptait de sortir avec elle de temps à autre.

De son côté, Jack ne se préoccupait plus de se trouver un cavalier pour le bal. Elle irait seule et ferait une vidéo pour Martha. Elle l'avait promis. Ce serait son bal d'hiver : montrer comment se trémoussaient les enfants friqués d'un lycée privé. Elle en avait pris son parti et ne désespérait pas de danser un peu. L'important était que sa mère ne sache rien.

Bien qu'Hunter ait été très occupé par ailleurs, Jack trouva quand même deux cadeaux dans son casier. Un étui pour le téléphone d'occasion qu'elle s'était payé, et non pas pour celui qui croupissait sous ses livres. Discret et sobre. Un truc dans son style. Malgré cela, elle ne l'utilisa pas. Il rejoignit la boite sous blister du téléphone. Et le jour des olympiades, un trèfle à quatre feuilles, soigneusement collé sur une carte de visite immaculée. Ça, elle s'autorisa à le mettre dans son portefeuille discrètement. La chance n'étant vraisemblablement jamais de son côté, elle considéra que le geste avait son utilité pour l'aider à contrer son karma merdique.

Les olympiades avaient tellement plus d'importance à ses yeux que tout le reste. Le projet était enfin fini. Le déplacement se ferait le lendemain jusqu'au centre des congrès de la ville, où toutes les écoles inscrites concouraient pour un prix de plusieurs centaines de dollars.

L'équipe du lycée avait opté pour l'uniforme agrémenté d'un tee-shirt avec leur nom. Celui de Jacklyn arborait un « Jack » sobre et discret. Pas de folie, mais de la concentration. La seule chose qui importait, c'était de gagner contre St Artus. Non. La seule chose qui importait, c'était d'écraser St Artus. Manifestement Kyle et Donni en avaient gros sur la patate.

Le jour J arriva. Jack était prête. Jack était ultra prête. Elle avait prévenu Rody de son absence le vendredi soir pour les olympiades et le samedi soir pour le bal d'hiver. Il avait été étonné de la dernière assertion, mais n'avait fait aucun commentaire. Il considérait Jack comme une bonne employée. Il ne s'autoriserait pas à discuter de choses trop personnelles avec elle. Le bref échange sur Hunter Stafford avait été suffisant.

Dès qu'elle mit le pied hors du bus, Jacklyn s'attendit au pire. Elle avait forcément oublié un truc ultra essentiel. Le robot allait bugger. Artus allait avoir un projet exceptionnel. Une météorite allait s'abattre sur la ville, pile sur le centre des congrès. Non. Une pluie de météorites. Carrément. Ils étaient tous des morts en sursit. À quoi bon lutter.

Elle s'attendait au pire, donc.

Pourtant, rien n'arriva de fâcheux. Plus extraordinaire encore, ils écrasèrent effectivement St Artus, et obtinrent une honorable deuxième place derrière les élèves d'un institut spécialisé en technologie. Royal. Auréolé de leur victoire, et euphorique, elle se permit de souffler dans le bus du retour. Elle s'autorisa même à chanter avec les autres.

Erreur. Erreur fatale. Elle avait oublié qu'elle avait une voix qu'elle maîtrisait parfaitement. Alors on l'écouta plus qu'on ne chanta avec elle, et elle se tut, gênée. Ça lui apprendrait à se croire autoriser au bonheur.

˗ Ben, merde, Wilson ! T'as une super voix dit donc ! s'exclama Kyle aux anges.

L'absence de tout élément proche de Hunter lui donnait des ailes, car la présence de Jack dans le club cette année, avait poussé le garçon à plusieurs grandes modifications dans sa vie. Et ce malgré les avertissements de Stafford concernant le flirt avec elle.

D'abord, il avait changé de monture de lunettes. Plus discrètes et fines, les nouvelles montraient qu'il avait de beaux yeux verts. Dixit sa mère. Il avait aussi acheté deux nouvelles chemises, pour au cas où il aurait le courage de l'emmener au cinéma ou ailleurs. Il ne désespérait pas de faire comprendre à la jeune prodige qu'il ne s'intéressait pas qu'à son cerveau.

Alors découvrir qu'elle avait en plus une voix d'ange, le ravit au plus haut point. Jacklyn Wilson était parfaite.

Il commença à espérer que son cavalier pour le bal la laisse en plan le lendemain. Il ignorait qu'elle n'avait pas de cavalier du tout.

Jack s'affala sur le lit avec un plaisir consommé. La tension était retombée d'un coup dès qu'elle avait franchi le pas de la porte de l'appartement. Elle avait pu constater en entrant dans sa chambre que sa mère avait pendu la robe pour le bal sur un cintre à la porte de son placard. Elle scintillait dans la pénombre. Une vraie robe de princesse.

Et puis elle vit le mot.

Elle l'ouvrit, et une météorite s'abattit effectivement sur la ville. Sur sa chambre très précisément. Le pouvoir du trèfle n'aurait pas été très long.

Sa mère lui expliquait avec beaucoup de plaisir et de joie qu'elle avait échangé sa garde avec celle d'une collègue pour pouvoir faire partie des parents chargés de surveiller le bal le lendemain soir. Elle lui demandait son avis sur la robe qu'elle avait prévu de mettre.

Jack remarqua alors le tissu noir d'une autre robe sur un cintre légèrement décalé par rapport au sien. Elle voulait mourir maintenant.