23/ Y'a que la programmation qui pourra me sauver

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˗ Ma Jacklyn ?

˗ Maman ? Tu m'attendais ?

˗ Oui, dit Genna en quittant la table de la cuisine avec les horaires des trains qu'elle avait trouvé sur le bureau de sa fille en main, je voulais que tu m'expliques, finit-elle en les lui montrant.

Pas de reproches. Juste un besoin de savoir. De comprendre.

- J'allais t'en parler ! Martha m'a invité chez Mama pour les vacances. J'attendais de savoir si je pourrai me payer le billet A/R pour aborder le sujet.

Genna faillit sauter de joie sur place. Ça n'était qu'un projet de voyage pour les vacances. Sa fille n'allait pas la quitter pour toujours. Elle n'avait pas l'intention de fuguer. De tout plaquer. Elle, Genna, n'allait pas se retrouver seule. Toute seule avec son ombre et ses souvenirs à se ronger les sangs en pensant à ses enfants.

- Mais, tu ne passeras pas noël avec moi ?

- Ben, tu m'as dit que cette année, tu prenais la garde de nuit. Alors j'ai pensé que ça ne serait pas grave que je ne sois pas là le jour J. Et puis, Jonas arrive à la fin des vacances. Ça pourrait être sympa de le fêter avec lui... On pourrait faire repas, échange de cadeaux, et tout, et tout...

- Et tu as les moyens de payer l'A/R ? demanda Genna en serrant sa fille dans ses bras.

- Je l'aurai à la fin de la semaine.

- Tu ne vas pas dépenser tout ton salaire ? Je peux mettre au bout si tu veux.

- Non. C'est moi qui veux partir. C'est moi qui paye.

Elles discutèrent encore un peu du voyage vers Chicago. Jack était très enthousiaste. Parler de ça lui faisait oublier Hunter et les paroles de Père Patrick.

Son subconscient se chargea de la rappeler à l'ordre en la faisant rêver de baisers enflammés et de bagarres. Un vrai film pour ado des années 50. La nuit fut courte. Le réveil fut rude.

Ça n'est qu'en passant la porte du cours d'histoire qu'elle repensa au téléphone et à la conversation qu'elle voulait avoir avec Hunter à son sujet. Elle avait loupé le coche la veille. Si elle y avait pensé, elle aurait pu dégoupiller le malaise. Elle s'assit au premier rang à la place qu'Andrew lui gardait toujours. Réserver une place dans la classe n'était pas flirter.

Hunter arriva tout sourire, le bras autour des épaules de Cherry. Tout le monde en resta stupéfait. C'était la première fois qu'il reprenait une fille après l'avoir si ouvertement larguée. Contre toute attente, Jack sentit son cœur se serrer en les voyant. C'était le comble !

Désormais, elle ne se voyait pas adresser la parole à Hunter. Ce serait au-dessus de ses forces. Elle passa son cours à écrire un mot simple, succinct et clair pour lui expliquer ce qu'elle comptait faire. C'était technique et froid. C'était tout ce qu'elle pouvait produire en l'état actuel des choses.

Comme tous les élèves, Andrew avait parfaitement vu Hunter avec Cherry. Il en conclut – un peu trop rapidement cependant - que cette fois Stafford avait trouvé chaussure à son pied. Il décida donc de tenter sa chance en fin de cours avec Jack, mais un regard en direction de Hunter lui fit comprendre que ce dernier n'en avait pas fini avec Jacklyn Wilson. Que ce nouvel acte n'était qu'un épisode dans leur relation complexe et controversée. Il soupira et dit simplement « à tout à l'heure » à sa voisine de cours, qui ne s'en formalisa pas. Elle commençait à avoir l'habitude d'être seule. Les garçons avaient interdiction de l'approcher, et les filles la jalousaient sans la comprendre.

Karma de merde.

- Il paraît que tu chantes, dit une voix nasillarde derrière elle alors qu'elle déposait des affaires dans son casier.

Cherry était là, juchée sur des talons vertigineux. Sa jupe d'uniforme si courte que s'en était indécent. Son chemisier si serré que les boutons risquaient de sauter à tout moment. Jack se demanda comment elle faisait pour respirer. C'était peut-être pour ça que la blonde avait une voix si horrible.

Le pire, c'était le maquillage. Une tartine. Jack était prête à parier que Cherry suivait tous les tutos beauté de la terre. Manque de chance, elle n'avait pas le cerveau assez développé pour comprendre qu'il ne fallait pas appliquer tous les conseils à la fois. La faute à son parfum. Un effluve capiteux et quasi insoutenable.

Jack tenta de l'imaginer sans tout ce fatras, mais n'y arrivait pas. Sans doute aurait-elle trouvé une fille banale comme elle ? Cerveau en moins bien sûr. Ça, ça ne se récupérait pas. C'était comme la virginité.

- Tu réponds pas ?

- Ben, si tu sais déjà la réponse. T'as pas besoin que je réponde.

Ouh là ! Phrase complexe. Concept inédit. Affirmation plus négation. Explosion possible.

- Ce que tu peux être chichiteuse. Je comprends pas ce qu'il te trouve !

- Chichiteuse ?

- Ouais. T'es une vraie chichiteuse. Pas moyen de faire un truc sans réfléchir. Aucune spontanéité.

Ah ! Un point pour elle. Chichiteuse, Jack l'était sans doute selon la définition de Cherry-sans-cervelle.

- Ok... Et donc. Tu es là pour...

- Pour te dire de pas toucher à mon mec. C'est compris ?!

- Ne pas toucher à ton mec ? Si c'est de Stafford dont tu parles, je ne l'ai jamais touché... Enfin techniquement si, puisqu'on a dansé ensemble. Mais c'est de sa faute, puisqu'il a interdit à tous les garçons du bahut de m'approcher... Alors...

- Alors... trouve-toi un mec en dehors et dégage de mon chemin !

Voilà une proposition qui méritait réflexion. Venant de Cherry, c'était inattendu. Mais il y avait une étincelle de perspicacité dans ce qu'elle venait de dire.

Un garçon en dehors.

Jack n'y avait même pas pensé. Bon. En fait, si, elle y avait pensé. Vaguement. Mais devant le désert que représentait sa vie sociale en dehors du lycée, trouver un garçon de son âge, un tant soit peu potable et propre sur lui, pour flirter, tenait du challenge bien plus complexe que la programmation d'un robot pour les olympiades !

Peut-être qu'elle tenait sa solution. S'en tenir aux robots, justement. Voilà qui était encore plus sage que de se trouver un mec en dehors du bahut. Finalement, Kyle avait raison. Jack n'avait pas besoin de souffler. Elle avait besoin de se trouver un autre projet complexe.

Ô sweet sweet fucking karmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant