16/ Tenter une feinte et croire que l'on peut s'en sortir

717 98 1
                                    

Le samedi matin, Jacklyn se demanda si elle n'allait pas feindre une maladie. Mais sa mère étant infirmière, le stratagème n'avait que peu de chance de fonctionner. Et puis, elle avait envie de faire la vidéo pour Martha, de fêter sa victoire aux olympiades avec les copains du club, de porter cette fichue robe.

Elle allait briser le cœur de sa mère et ne savait pas comment l'éviter. Tout ça à cause d'une stupide consigne de Hunter Stafford. Elle voulait lui faire payer. Elle devait le faire payer.

Martha, appelée en urgence, n'avait pas d'idée, sauf de dire la vérité avant de partir. Elle trouvait que le fiasco serait moins important si elle le faisait avant d'arriver là-bas. Elle n'avait pas tort.

D'un autre côté, la veille dans le bus, tout à leur victoire, les membres du club avaient convenu d'arriver ensemble au bal. Genre arrivée triomphale des vainqueurs contre St Artus ! Le mini-van de Harry pouvait les contenir tous. Bon point pour elle. Elle pouvait donc arriver là-bas sans que sa mère ne s'aperçoive de sa solitude.

Et puis, dans la foule qui verrait qu'elle était seule ? Elle s'arrangerait pour rester loin de sa mère. Comportement que cette dernière comprendrait. Quelle fille avait envie de danser avec un garçon devant ses géniteurs ? Elle ferait sa vidéo du coin opposé.

Et puis, il y aurait sans doute plein d'élèves sans cavalier, faute d'avoir osé demander ou faute d'avoir trouvé chaussure à son pied. Elle trouverait bien un garçon pour se trémousser avec elle opportunément dans le champ de vision de sa mère.

Le tour serait joué. Elle pouvait y arriver.

Elle passa donc sa matinée à peaufiner un dossier qu'elle avait à rendre la semaine suivante et l'après-midi à se préparer pour le bal. Sa mère coiffa savamment ses cheveux avec des torsades compliquées. Cela lui donnait encore plus un air de princesse. Elle la remercia. Elle n'aurait pas la robe la plus coûteuse, ni les chaussures les plus extraordinaires, mais elle serait belle. Juste avant de partir, sa mère lui accrocha autour du cou une chaîne fine en argent au bout de laquelle pendait une larme cristalline. C'était presque trop beau.

Un baiser sur le front. Une photo en bas avec les autres membres du groupe pour immortaliser l'instant, et elle était partie.

Dans le van, Kyle la dévorait des yeux. Ils s'étaient tous extasiés sur elle quand elle était arrivée, mais Kyle, lui, était resté bouche bée. Décidément, Jacklyn Wilson était réellement parfaite. Presque trop. Il en fut soudain très impressionné et tira gauchement sur sa veste, pourtant de coupe impeccable. Sa mère y avait veillé.

Lorsqu'ils arrivèrent devant le gymnase transformé pour l'occasion en salle de bal, Harry gara son horrible van entre deux voitures très luxueuses. Les parents avaient prêté leurs carrosses pour ce soir de bal. Mélissa et Jack lissèrent leur robe et les garçons leur prirent le bras pour les accompagner.

Finalement, Jack n'avait pas un cavalier mais plusieurs. Donni à droite. Kyle à gauche. Melissa avait Harry d'un côté. Stevenson de l'autre. Et devant, marchant comme un pape avec la médaille obtenue la veille autour du cou, John le président du club.

Ils furent accueillis par plusieurs professeurs et de nombreux élèves sous les bravos. Quelques cris et sifflements, puis les vainqueurs se séparèrent. Donni rejoignit sa partenaire, une certaine Amélia. Kyle devait retrouver une Sophie. Harry et Melissa dansaient déjà ensemble. Stevenson avait disparu du côté du buffet. Il avait prévu de se goinfrer. Quant à John, il discutait avec deux professeurs, tandis qu'une petite jeune fille, que Jack n'avait jamais vue avant, attendait patiemment derrière lui.

Jacklyn remarqua immédiatement la bande de Stafford sur la piste de danse. Elle vit également Andrew avec une grande fille au physique de mannequin et à la chevelure virevoltante. Jack ne faisait pas le poids. Elle soupira. Elle sortit l'appareil photo numérique/caméra de sa mère. Pour ne pas être gênée par son sac, aussi minuscule soit-il, elle décida de le déposer au vestiaire tenu par deux profs de sport en pleine discussion sur le dernier match de basket de la ligue universitaire.

Quand elle revint dans la salle, elle remarqua qu'elle était encore plus bondée qu'au moment de son arrivée. Puis, elle vit sa mère qui serrait la main d'un homme avec qui elle allait devoir passer la soirée sur côté ouest de la salle. Jack bifurqua vers le côté opposé et commença à filmer.

Kyle arriva près de vingt minutes plus tard. Une jeune fille à la peau d'ébène à son bras, il demanda à Jack si elle voulait quelque chose à boire. En fait, il n'avait cessé de l'observer, tout en honorant sa compagne de sa présence. Il avait compris que Jack était seule. Aucun garçon n'avait osé l'inviter. Quel gâchis ! Malheureusement, il ne pouvait planter là sa propre cavalière. Cela aurait été très impoli. Il décida donc de s'employer à satisfaire les besoins de Jack de temps à autre. C'était ça être un ami, après tout.

Le bal d'hiver avait ceci de remarquable qu'il associait un groupe de pop avec des pauses orchestrales. Original et intéressant. De temps à autre le groupe laissait son tour à des mélopées plus anciennes, des musiques où des couples pouvaient briller en virevoltant comme leurs ancêtres, de manière distinguée ou plus endiablée. Valse, mambo, tango... tout y passait, et c'était plutôt amusant. La piste se clairsemait. Et ceux qui dansaient, brillaient avec plus d'éclat. C'était le moment que choisissaient ceux qui n'aimaient pas ou ne connaissaient pas ce genre de danse pour s'abreuver, pour manger, pour s'aérer ou pour aller se bécoter dans un coin tranquille, même s'il y en avait très peu.

Jack avait pu voir plusieurs de ces moments passer. Elle savait que sa mère l'avait cherchée du regard, sans doute étonnée de ne pas la voir sur la piste avec son cavalier. Genna en avait peut-être déduit que le jeune homme ne connaissait pas les pas, et que sa fille n'avait pas voulu le mettre en difficulté alors qu'elle-même était une excellente danseuse. Car c'était le cas. Jacklyn avait eu le privilège d'apprendre à danser avec son grand-père dès son plus jeune âge. Elle maîtrisait la plupart des danses de salon, comme on les appelait aujourd'hui. Elle les maîtrisait et elle les aimait.

Ô sweet sweet fucking karmaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant