Le Point qui résiste .

chapitre 26 . L'INCENDIE .

              Si les journées étaient amères , les nuits l'étaient encore plus .  Etant donné que j'ai commencé à passer des nuits calmes et à faire des rêves que tout va bien , le hurlement prolongé de la sirène m'a complètement désorientée cette nuit . Tirée de mon sommeil et encore à moitié endormie , mon affolement était manifeste . Toute la ville est secouée par sa violence répétitive.

     Il arrivait des fois qu'un vent violent la déclenchait , mais ce jour là , la nuit était calme , tout était silencieux . Les étoiles  si brillantes que le ciel semblait bas . Nous étions tous endormis , la ville entière semblait dormir .

          Mes parents qui avaient simultanément  entendu les appels au secours d'une voix féminine , avaient compris que cela n'avait rien de normal .
_ Enarr ! Enarr ! Enarr ! Enarr !Ya siadi enarr ! Ce mot voulait dire "Le feu".  Souligné par "ya siadi"  qui voulait dire "messeieurs" répétait en boucle la voix . La recurrence de cette suite de mots dite de cette facon avait presque l'air d'une certaine mélodie agréable de supplication . Si ce n'était les hurlements de douleurs qui s'en suivaient . 

     Tête nue , cheveux ébouriffés et la robe trainant parterre , ma mère n'a pas eu le temps d'attacher sa ceinture . Elle accourre . Elle n'a même pas eu le temps de réaliser ce qui se passait .  Mon père l'écarte brutalement . Pyjama débraillé , les cheveux en désordre et les pieds nus , il atteint le muret de la petite cour en quelques enjambées . Il declare ne rien voir . Il revient vers la fenêtre qui donne sur la rangée des magasins qui bordent la route . En face dans la rue la flamme et la fumée étaient bien visibles .
_ c'est un incendie ! Dans la rue , les flammes ravagent l'une des boutiques en face ! Cri-t-il . Je ne vois pas bien laquelle !

      Le son de la sirène que la nuit rendait plus strident , retentissait encore et encore . Lorsqu'on pensait qu'il allait s'arrêter enfin , il reprenait . Les grands cris et les appels au secours s'ajoutaient à ses hurlements incessants , prolongés et répétés pour envahir le silence et souligner l'horreur de cette nuit . Cet alarme affolait toute la maison que dis-je toute la ville . Elle avait immédiatement déclenché la ruée des gens .
Dans le plus grand désordre les hommes se précipitaient vers l'incendie .
La fumée de plus en plus épaisse , et les flammes de plus en plus hautes , nous empêchaient de situer le magasin qui brûlait .
Soudain mon père s'est mis à répéter d'une voix étouffée .
_ c'est le magasin de Meyer ! c'est le magasin de Meyer ! ce sont  probablement les moujahidines qui y ont mis le feu , c'est même sûrement . C'était à prévoir ! Continuait mon père tout en fulminant contre le comportement de Meyer ces derniers temps .

        Meyer était un tailleur Juif . C'était le couturier de toute la ville .
C'était un homme très serviable qui avait su établir une relation de confiance avec les clients .
Petit de taille il semblait flotter dans ses vêtements qui étaient  toujours plus grands que lui . Un mètre ruban jeté sur sa nuque courte retombait de chaque côté sur sa poitrine . Cet accessoire faisait partie de lui .
Son magasin était trop spacieux par rapport à la boutique de Ba kassou le couturier du vieux ksar ou l'on pouvait à peine se tenir debout . Où les coupons de tissus traînaient pêle-mêle sur le minuscule comptoir .
Chez Meyer les larges étagères n'étaient pas très chargées . Cependant de jolis coupons y étaient soigneusement mis en valeur . Il fournissait lui même ses clients .
Il créait des vêtements sur mesure et parfois personnalisés pour des gens aisés . Pour les moins riches , il faisait des retouches et des modifications . Son grand comptoir lui servait de table de coupe . Un mètre en bois traînait toujours près d'une grande paires de ciseaux ainsi q'un morceau de craie . Il n'avait pas beaucoup d'ouvrage ce qui le laissait souvent libre .

_ C'était à prévoir ! Chaque après midi , il reçoit  les gendarmes ! Dis mon père.

_ Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-toi ! enchaînait ma mère . C'est peut être un accident !