Chapitre 29 . Les hostilités et le pressentiment

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        La pression devenait de plus en plus forte . Du côté de l'armée française . Elle ne lesinait sur aucun moyen . La campagne de propagande indéniable était au paroxysme .
         La presse se vantait de lutter efficacement contre les hors-la-loi . L'armée menaçait de tout passer au peigne fin , rue par rue , maison par maison , homme par homme . Elle savait que la plupart ne savait pas lire , dès lors la radio prenait le relais . Elle restait l'arme de dissuasion incontestable . A chaque instant elle interrompait ses émissions pour diffuser des messages violents . La voix proférait  des menaces formels  d'une manière si dure à faire craindre son ombre . Les "fellagas" (c'est ainsi qu'ils nommaient les révolutionnaires de la libération) seront arrêtés ,  battus , torturés . Tels étaient les termes de l'avertissement .
         Parfois le largage des tracts prenait le relais . Un petit avion volait si bas qu'on pouvait voir ses deux uniques passagers . Il larguait des tracts . Tels des papillons , ils voltigeait agréablement dans l'air avant d'atteindre le sol . Les enfants se donnaient à coeur joie à qui ramasse le plus grand nombre de ces feuilles aux couleurs vives.
      A l'inverse de la radio , souvent ces affichettes diffusaient des messages de séduction . De grosse lettres signifiaient qu'on que nous étions aimés et qu'on ne nous voulait que du bien .
radio c'était la punition et les tracts la séduction .
Le contraste de ces propagandes venait souligner l'invitation au seul choix d'être du côté de la France . Un choix sans issue en fait .

           Comme chaque matin , le fond sonore de la radio fait parti de l'ambiance de la maison . Le moment des informations arrive .

_ Les forces de l'ordre ont ....

    D'un geste brusque mon père  éteint la radio . Il coupe la voix masculine . Cette dernière avait la qualité d'être claire et nette pour une bonne transmission . Ce matin il se sentait secoué à nouveau d'un brusque sentiment de menace . Un fait le taraudait vraiment .

        _ Zohra , le médecin officier n'est pas venu au dispensaire depuis trois semaines . Ce n'est jamais arrivé . Ça m'inquiète.

_  De temps en temps il s'absente . c'est normal ? Réponds ma mère pour le rassurer .
_ Mais pas trois semaines d'affilée ! Et puis il m'avise avant ! Ce n'est peut être pas un hasard .

       Chaque semaine un medecin militaire venait le matin pour quelques heures au dispensaire pour s'enquérir des patients et lui donner certaines directives . Le reste du temps les malades étaient livrés au bon soins de mon père .
    
        Ma mère assise devant lui pliait le linge .
Tantôt ils s'échangeaient des regards crispés pleins d'inquiétude . Tantôt ils baissaient leurs yeux pour se fuir mutuellement .

_ Le ramadan c'est pour bientôt dit ma mère pour détendre l'atmosphère .

_ C'est dans quelques jours tu veux dire ! Réponds sèchement mon père .

          Je me rendais compte qu'il valait mieux quitter la pièce . Quand ils persistaient à se quereller . J'avais une déconcertante habitude de me réfugier non pas dans ma chambre mais dans la cuisine . Je n'oublie pas  de prendre mes cahiers au passage . J'ai toujours aimé y travailler . Il me semblait que je réfléchissais mieux dans un environnement en mouvement portée par le flux des conversations . Située au coeur de la maison . Toutes les voix y parvenaient . J'écoutais " les histoires de la cuisine " . Tous ceux qui passaient ici étaient racontars ou conteurs . C'est peut être là que j'ai appris les leçons de la vie . Le paradis , l'enfer , les péchés . Il n'était pas toujours question de guerre ou de choses sérieuses . Des fois mes tantes et les amies de ma mère se racontaient des histoires simples et spontanées . Elles riaient à propos de futilités .  En tous cas c'est là où j'étais la plus détendue .

        Une discussion bruyante et sérieuse a débuté entre eux deux . Elle allait durer un long moment . Je n'ai pas de souvenirs très précis de ce qui se disait cependant , mon père donne l'impression d'être à nouveau en proie à un profond malaise .
J'essaye d'extraire de ma mémoire quelques uns des échanges .

_ Tu ne me crois pas ! Je te dis qu'il y a parmi nous des mouchards terriblement dangereux ! L'ennemi pourrait être n'importe qui . Les arrestations augmentent ! Elles ont lieu chaque soir . Nous devrions nous méfier de tous . Il est fort possible qu' un ami ou un voisin soit un "byaâ ". Un délateur méprisable.
D'ailleurs même moi j'ai l'impression de subir des regards soupçonneux . Chacun se méfie de l'autre .

_  Ce sont tous des amis à toi ! Je ne pense pas qi'il y'en ait qui te veulent du mal .

_ Il y en a plus que tu ne penses . Comment savoir si X . ou Y . est ton ami ou ton ennemi ? Par ces temps on doit se méfier de son propre enfant . Il suffit d'un rien , d'une simple rumeur pour nous faire appartenir à un clan ou à un autre . On se trouve tout le temps dans le conflit .

La voix de mon père s'était élevée plus haut que celle de ma mère . Il s'est emporté , il disait des choses qu'il aurait fallu taire . Sa rage éclate . Lui qui , tout le temps stoïque ne laissait voir sa colère qu'en privé . Devant nous elle devait être indécelable . Mma finit par approuver tout ce qu'il disait avant de quitter la chambre .

_ Eh ! Je te prépare un thé ou un café ?
Ma mère s'adressait à mon père.

Je n'ai jamais entendu ma mère appeler mon père par son prénom . Elle ne l'appelait que par "eh " . Pour tout dire , elle ne l'appelait pas . Ne le nommait jamais . Quand elle parlait de lui , elle disait " lui " . A nous elle disait "votre père "
Je n'ai jamais compris pourquoi . Même elle ne peut l'expliquer .
Ce n'était pas une pratique chez les autres femmes . Mes tantes ou ses amies n'avaient aucun problème avec ça .

Il la rejoint . Saisie la tasse de café , le boit presque complètement d'un trait . Il décide enfin de lui expliquer calmement ce qu'il ressentait . Son visage prend un regard vide sans expression .

_ Ressaisis-toi ! Tu as vraiment l'air d'avoir quelque chose à te reprocher . C'est la tête que tu as qui va te trahir ! Dit ma mère en observant ses gestes 

_ Ça se voit tant que ça ? Explique-toi !

Mma ne réagit pas . Il continue .

_ Depuis quelques temps je pressens un traquenard . Je ne sais pourquoi mais j'ai le pressentiment que quelqu'un me prépare un mauvais coup . Quelque chose va m'arriver c'est sûr. qu'allah nous protège c'est tout !

_ Qu'est ce qui ne va pas ? Tu me caches quelque chose ! Explique toi . Les préoccupations du moment ne laissent place qu'au sentiment d'insécurité . Mais tout de même , là tu sembles presque sûr de tes prétendus pressentiments .

      Mon père continuait à dire que depuis quelques temps . personne ne s'était jamais senti aussi menacé par le danger qu'en ces temps ci .

Dans la soirée le vent s'était déchaîné . Son hurlement lugubre et incessant à duré toute la nuit ce qui a exacerbé et attisé ma terreur .

Le lendemain , dans l'après midi un événement est venu le contrarier d'avantage . Mon père a fait tomber une bouteille en verre pleine de gresyl sur son pied . Méticuleux sur l'hygiène il a tounours un détergent à la main . Je suppose que c'est assez sérieux puisque son pied a enflé et qu'une serieuse ecchymose l'a amoché . Il avait vraiment mal . Ce qui lui a fallu d'y placer un bandage pour pouvoir marcher .
Ses enjambées naturellement allongées ont été réduites à des petits pas rythmés . Très gêné , il boitait carrément .
       Une telle mésaventure , une mauvaise manipulation peut arriver à n'importe qui et à n'importe quel moment . Cet accident est assez normal et explicable en fait . Pourtant nous l'avons tous ressenti comme un mauvais présage .

      

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