Puis il y eut cet événement incroyable qui allait bouleverser toute notre vie .
Cela arrivait fréquemment que des hommes soient arrêtés . Il m'arrivait même d'envisager avec inquiétude l'éventualité que mon père le soit aussi . Mais ma déraison venait balayer d'un coup cette éventualité pour me rapeller que cela n'arrive qu'aux autres et pas à mon père encore moins à mon frère . Bien que d'après les dires , je savais pertinemment qu'aucun révolutionnaire ne risquait d'y échapper .
Le début de soirée de ce jour du mois d'avril était chaud . La nuit s'annoncait claire . Un peu trop chaude pour un printemps . Le climat n'était pas si désagréable pour nous obliger à dormir à l'extérieur . Cependant Bachir , Nora et moi avions préféré passé et la nuit dans la cour . Personnellement j'adorais dormir à ciel ouvert . J'essayais parfois de compter les étoiles . Cela aurait été possible si je ne perdais pas le compte à un moment où à un autre avant de m'endormir .
Mes parents et mes petits frères dormaient à l'intérieur .Tard dans la nuit ou très tôt le matin , je ne sais pas . Je dormais sûrement . Notre maison a été envahie par des gendarmes . Pas le moindre bruit de porte defonçée ou même forcée , il a suffit à l'un des intrus de l'escalader . de l'ouvrir tout simplement et de permettre aux autres de pénétrer . Ce qui était facile grâce aux écharpes de renforcement transversales en forme de Z sur la face interne de la porte .
Le moteur du fourgon garé certainement derrière la maison pour nous surprendre dans notre sommeil , ne nous a pas reveillé . Aucun bruit ne nous a alerté cette fois ci .
Soudain , dans l'obscurité , il y eut un piétinement de godasses . Le temps de reprendre mes esprits j'ai vu plusieurs gendarmes dans la cour . Je ne sais combien étaient à l'intérieur .
Sûrement réveillée au milieu du remu-ménage et du tumulte , je venais sans doute de manquer le début de l'action .
Des uniformes de combat en grosse toile retenus par de gros ceinturons remplaçaient les tenues traditionnelles des gendarmes que je voyais circuler régulièrement . De grandes mitraillettes se substituaient à leurs revolvers de tous les jours , généralement discrets .A ce moment là le moindre mouvement m'était impossible . Je restais là debout , les yeux hagards . Je ne me rapelle pas si c'était moi qui n'osais pas bouger ou bien si c'était mon corps qui était trop paralysé pour se mouvoir . Je ne me souviens pas avoir entendu le moindre mot ou le moindre cri . J'ai tout de suite compris qu'ils étaient là pour arrêter mon père . Dans toute cette agitation , pendant quelques minutes , je restais là immobile les bras le long du corps .
Cet événement s'est gravé dans ma mémoire en images innéfaçables . Avec l'âge, la mémoire déborde mais n'efface rien . Je revois la petite fille debout dans son lit . Trop paralysée pour se mouvoir , elle fixait son pull qui formait un petit paquet rouge au pied de son lit . Cette petite fille c'était moi ! Avec du recul je comprends que j'avais a peu près onze ans . Mais dans mon souvenir j'étais si petite .Avec cet évocation , je m'aperçois que je garde toujours cet Handicap ; La trahison de mon corps qui se fige au moment exact où une réaction spécifique de ma part est indispensable .
Enfin j'ai osé détourner la tête et regarder vers le gendarme qui était resté debout à deux pas de l'embrasure de la porte d'entrée . Pendant que les autres sont entré à l'intérieur de la maison .
C'était Germain !_ Non pas lui avais-je pensé dans ma crédulité . Il ne pouvait pas être comme ces bourreaux monstrueux !
Germain était un gendarme fluet . Sa casquette plus grande que lui cachait son front et lui tombait sur les oreilles . Sa stature contrastait avec celle des autres . Avec sa petite taille il semble incapable de faire du mal . Je l'avais toujours vu souriant , l'air jovial . A vrai dire un peu godiche . Il donnait de son temps aux enfants . Il souriait gentiment aux petites tapes qu'on lui faisait pour attirer son attention . Il s'arrangeait toujours pour nous faire un petit geste tendre . On le rencontrait presque quotidiennement .
Malgré mon profond malaise , sa présence me rassurait quelque peu ou plutôt me réconfortait . Sur le coup j'étais sûre qu'il allait nous renseigner sur le devenir de mon père du moins sur l'endroit où ils allaient le conduire . car ce qui était le plus dur c'était de connaitre l'endroit où les détenus étaient conduits .
_ Lorsqu'il fera jour , on se rendra à la brigade de gendarmerie et Germain nous informera sûrement sur l'endroit où il est emprisonné . Me dis-je intérieurement avec naïveté .
Dans son regard on ne lisait aucune férocité . Je le fixe , espérant trouver de la compassion . Il ne semble pas remarquer ma présence . Je lui lance encore un regard . Je continuais à espérer et à essayer de capter son attention . Son visage inexpressif a bel et bien réduit à néant mon espoir .Après un bon moment , deux d'entre eux sont ressortis . Ils tenaient fermement mon père en le traînant dans la cour . Mon père s'efforçait de garde fièrement la tête haute . Toutefois son visage et son regard sombre le trahisaient . Ses yeux fuyant nos regards était ceux d'un père saignant d'une blessure interne . Habillé légèrement il paraissait si maigre et fragile .
Presque au même instant , un troisième gendarme qui s'était arrêté sur le pas de porte , entre la cour et l'intérieur de la maison lança d'une voix forte .
_ Et le fiston , on l'emmène ?
Il s'adressait sûrement à son chef qui ne tarde pas à lui répondre à voix haute .
_ Oui ! Oui !
Ils parlaient de Bachir ! Mon père avait entendu . Il essaie vainement de se retourner pour regarder en arrière . Il est fermement saisi .
Ma mère qui n'a pas dit un mot jusque-là avait compris . Elle les suit en courant .
L' echange entre les gendarmes me rapelle le premier jour de la semaine de la grève . La même scène se répétait devant nos yeux ._ Non lachez-le ! lachez-le ! Il n'a rien fait .
Son cri de detresse à été plus intense et plus affolant que leurs voix .
Bachir a été traîné à son tour . La double arrestation à été épouvantable . Surprise , sans trop comprendre je regardais Nora courir derrière eux les chaussures de mon père à la main .J'ai toujours dit que ma soeur Nora était téméraire , aujourd'hui elle a pris un risque démesuré et inattendu . Du moins pour moi . Elle est ma parfaite opposée .
C'est seulement à ce moment là que j'ai constaté que mon père était pieds nus . J'ai remarqué aussi que le bandage de son pied trainait derrière lui . En partie déroulé , il était assez long pour former un sillage blanc sur le ciment noir de la cour .
Trop tard ils sortaient . Mon père marchait en boitant de la jambe droite . Dans la précipitation , on ne lui a n'a pas laissé le temps de mettre ses chaussures .
Les nombreuses fois où il dormait tout habillé et les chaussures à portée de la mains n'ont été d'aucune utilité .
Pendant toute l'opération j'étais spectatrice . Sortie subitement de mon sommeil , desorientée mon desarroi était trop evident . L'instant ou ils sont apparus avec mon père et mon frère , et le moment où ils les ont embarqués s'étaient déroulés avec une brutalité et une rapidité extrêmes . Puis s'en est suivi un vide absolu et un silence total qui m'ont sortie de ma torpeur . Soudain la maison semblait à la fois très vaste et complètement déserte .Blottis , chacun dans son coin on paraissaient si faibles et si menus face au grand désordre qui régnait à l'intérieur de la maison et à l'ampleur de notre désarroi . Sous la lumière blafarde de la lampe à pétrole , on attendait le lever du jour qui tardait à venir . Le temps s'était arrêté .
Mma cachait son visage dans ses mains . Elle n'osait rien dire . Je la sentais au bord des larmes mais elle ne pleurait pas .
_ Pourvu qu'elle ne parle pas ! me suis-je dit .J'avais l'impression que si elle devait dire quoi que ce soit ses phrases sortiraient en sanglots . Très réservée en tout , je me voulais également discrète dans mes sentiments . Je n'avais pas envie de pleurer . J'avais au ventre une douleur sourde . Je n'étais consciente que du vide qu'on laissé mon père et mon frère derrière eux . Une forte angoisse habitait tout mon corps .
Maintenant que mon père a disparu , ma mémoire de ses tiroirs les plus précieux garde l'image de ses yeux trites et de son regard qui avaient , sûrement tant de choses à nous dire . Remplie de souvenirs du moment de sa disparition , elle garde aussi l'image de sa silhouette gracile qui contrastait avec la robustesse des deux gendarmes qui l'emportaient .
ma mémoire continue de me jouer des tours . Elle ouvre certains tiroirs tant rabâchés pour fermer à double tour mes chimères et mes délires du moment .
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Le Point qui résiste .
Fiksi SejarahC'est l'itinéraire à la fois mouvementé et émouvant , d'une enfance vulnérable et tourmentée , dans une petite bourgade du sud de l'Algérie . Une paisible oasis transformée en une exploitation minière vers le début de l'années 1920 . Cotoy...