Chapitre 3 - Nora

34 7 19
                                    

Mes ongles s'enfoncent sur la surface en plastique de mon volant noir alors que je vois les minutes s'écouler sous mes yeux avec toute l'impuissance du monde.

Une minute.

Deux minutes.

Dix minutes, putain.

Je maudis Oliver de toute mon âme de me faire patienter ainsi. Où qu'il soit, j'espère qu'il a conscience de l'étendue de ma déception. Je peux tout entendre, tout excuser. L'importance de son travail, le temps qu'il souhaite consacrer à ses amis, que je ne sois pas la priorité dans sa vie.

Mais pas aujourd'hui.

Cela fait des mois que je répète à mon compagnon que je redoute cette journée autant que la fin du monde. Il est au courant des séquelles que mon passé m'a laissées, et il sait que l'entrevue qui m'attend les ravivera toutes. Je suis peut-être incapable de justifier mes retards à Keith en lui exposant la vérité, ma vérité, mais j'ai toujours gardé Oliver dans la confidence. Et il n'a pas le droit de me laisser tomber. Sa présence réconfortante, ses sourires encourageants, son étreinte protectrice... c'est tout ce que je demandais.

Il me l'avait promis, putain.

Des gouttes de pluie commencent à s'écraser sur ma carrosserie et les vitres de ma petite voiture grise, accentuant la crise de panique qui m'arrache des tremblements. Ce son est abominable, fracassant, destructeur. Je ferme les yeux et pose mon front contre mon volant glacé, inspirant profondément pour occulter tout ce qui m'entoure.

J'ai mal, tellement mal.

Je me force à relever la tête quand j'entends la portière côté passager claquer bruyamment. Je tourne la tête brusquement pour fusiller mon copain du regard et l'assaillir de reproches. Les mots restent bloqués au fond de ma gorge quand je découvre avec surprise une jeune femme blonde à la peau foncée et non pas un homme d'une trentaine d'années.

— Je suis désolée pour le retard, Nora ! s'exclame Aaly en passant une main experte sur son visage afin de faire disparaître l'eau ruisselant sur ses joues. Tu sais ce que c'est, les embouteillages londoniens... la prochaine fois qu'on décide de changer de ville, jure-moi qu'on trouvera un pays avec peu d'habitants pour ne plus jamais être en retard !

— Aaly, commencé-je d'une voix épuisée, qu'est-ce que tu fais là ?

Ma meilleure amie gigote sur son siège, profondément embêtée. Elle me lance un regard à la dérobée pour me confier :

— Oliver ne pouvait pas venir alors il m'a envoyé un petit message pour que je t'accompagne.

Je ferme les yeux et pousse un profond soupir de lassitude. Je sais que je t'avais promis de trouver mon bonheur quelque part, papa. Mais comment est-ce possible de sourire à la vie quand elle continue de nous faire chuter jour après jour ?

— Tu avais une inauguration aujourd'hui, insisté-je en relevant les yeux vers ma meilleure amie.

— Qui ne sera jamais plus importante que toi, renchérit-elle en posant sa main sur mon bras. N'importe qui peut prononcer un discours bidon devant des centaines de personnes. Par contre, personne ne pourra me remplacer auprès de toi.

Je reporte mon attention sur la route quand Aaly me confie cela. Il ne faut pas que je pleure maintenant. Sinon, je ne m'arrêterai plus jamais.

Les voitures viennent et repartent du parking où je suis garée. Je reste attentive à leur danse mécanique, incapable d'y prendre part. Je n'habite pas le quartier le plus dynamique de Londres ; néanmoins, la foule s'y presse quotidiennement. Le bruit assourdissant des klaxons à répétition me fait grincer des dents. Mes mains tremblent quand j'insère la clé dans le contact pour démarrer la voiture. Ça va aller, Nora. Tu vas t'en sortir.

Nos Combats PerdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant