Chapitre 8 - Nora

30 6 10
                                    

Je cours au cœur de la nuit avec l'espoir que la fatigue physique aide à anesthésier mon esprit et mon cœur. Je cours plus vite que je ne le devrais pour m'assurer qu'Isaac ne me suit pas. Il m'arrive de jeter des coups d'œil inquiets derrière moi mais seule la douce caresse de la nuit m'accompagne.

Je suis seule.

Je suis seule.

Je suis seule.

Je maintiens mon endurance jusqu'à atteindre le parc des désillusions. Je n'y ai mis les pieds qu'une seule fois, pour être témoin de la plus grande tragédie de ma vie.

Le plus grand drame de ma vie n'a jamais été de te perdre toi, Isaac. Ça a été de le perdre lui.

J'essaie de faire abstraction des premières courbatures de mes jambes, de la brûlure au fond de ma gorge, du souffle qui commence à me manquer. Je m'étais promis de ne jamais revenir à cet endroit dont je ne connais pas le nom exact, alors que chacune de mes décisions passées m'ont conduite à ce moment précis.

Il y a environ cent quatre-vingt-dix-sept pays dans le monde, et j'ai choisi l'Angleterre.

J'ai choisi Londres.

Quand les premiers arbres illuminés par la lune et les lampadaires s'offrent à moi, je décide de ralentir pour mieux profiter de cette beauté naturelle. Au moins, tu es bien entourée.

Une larme singulière roule le long de ma joue alors que je souris à la nature, que je souris à la vie, que je souris à la mort.

Tu l'as toujours été.

Les arbres se colorent de jaune et rouge un petit peu partout, annonçant l'arrivée imminente de l'automne. Symbole de mort, j'en ai toujours été terrifiée. Et pourtant, cette saison est si belle...

J'ai versé chacune de mes plus grandes larmes à cette période de l'année. Il y a cinq ans, je disais au revoir à un homme que j'aimais. Il y a trois ans, j'ai dû faire mes adieux à l'homme le plus important de ma vie.

Je m'arrête à bout de souffle en plein milieu du grand parc londonien, sans repère mais heureuse d'être perdue au cœur d'un paradis naturel. Mon regard est attiré par un mouvement vif entre les feuilles échouées sur le sol. Je m'en rapproche pour finalement m'accroupir auprès d'un petit écureuil qui me dévisage avec méfiance, alors que je lui souris de tout mon être.

Aux portes du chaos, j'ai commencé à craindre la présence des autres. Paniquée par le regard d'un homme sur moi, effrayée par la jalousie des femmes envers moi, suffoquant dans un monde de jugement où je n'avais pas ma place. A cette période de ma vie, j'ai beaucoup repensé à mon voyage au Namibie. Soucieuse de m'en sortir, je suis repartie six mois en mission humanitaire au Costa Rica pour aider les tortues à rejoindre l'océan. J'ai découvert l'apaisement qui accompagne les discussions avec les animaux. Je n'étais plus seule et pourtant tellement en sécurité. Je crois que j'étais heureuse, de nouveau.

L'écureuil me tourne le dos pour rejoindre l'arbre le plus proche alors que je médite un instant sur cette pensée qui vient de traverser mon esprit.

J'étais heureuse. J'ai réussi à être heureuse, toute seule. Peut-être que le bonheur n'est pas un sentiment qui se cherche une vie entière ; peut-être qu'il suffit de le comprendre.

Et ce soir, je crois que j'ai compris.

Un nouveau sourire plus léger m'est arraché alors que je me redresse, terrifiée mais convaincue de prendre la bonne décision. Mes pas se remettent en marche pour me mener dans un lieu où je n'ai pas mis les pieds depuis des années.

Nos Combats PerdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant