Chapitre 15 - Isaac

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Lorsque Matthew me rejoint à la cafétéria pour déjeuner, je comprends directement que quelque chose cloche. Il n'y a pas l'esquisse d'un sourire sur son visage, et ses yeux semblent vouloir jeter des éclairs au monde entier.

Il se laisse brusquement tomber sur la chaise à côté de moi, sans m'adresser le moindre regard. C'est à se demander s'il a noté ma présence ou si l'intégralité de ses pensées sont dirigées vers un lieu bien obscure qu'il ne souhaite partager avec personne. J'espère que cela n'a rien à voir avec sa copine ; nous avons bien assez d'un cœur abîmé dans notre appartement. Et puis, je ne suis pas en train de régler petit à petit ma vie amoureuse pour voir celle de mon ami tomber en lambeaux.

Je jette un regard dans sa direction mais je comprends rapidement que je ne pourrais rien tirer d'une tentative de discussion. Il s'acharne violemment sur sa salade sans même chercher à la manger. Je ne compte plus le nombre de fois où l'une de ses mains s'est emparée de ses cheveux comme pour s'arracher ses mèches brunes.

Après quelques minutes, je discerne certains membres de son équipe rejoindre la cafétéria à leur tour. Leurs visages sont autant fermés que celui de Matt. Que s'est-il passé lors de l'opération de ce matin ?

—Il est mort, lâche Matt en se frottant les yeux.

Il repousse son assiette et se passe une main tremblante sur le visage. Je lui adresse un regard de compassion, incertain de la démarche à adopter pour le réconforter.

La mort, ici, on la côtoie autant que la vie. Nous ne sommes pas invincibles, loin de là. Les médecins ne l'ont jamais été.

— Que s'est-il passé ?

Mon ami croise les bras contre sa poitrine avant de se tourner vers moi.

— Il a fait un arrêt cardiaque en pleine opération, juste après qu'on lui a greffé un nouveau cœur. Nous avons été incapable de le sauver. Ça n'aurait pas dû arriver, putain, se lamente-t-il en s'affaissant sur sa chaise.

J'hésite longuement avant de me décider à poser une main amicale sur son épaule.

— Ce sont des choses qui arrivent, Matt. Nous ne pouvons pas toujours...

— Mais alors pourquoi on fait ça, Isaac ? réplique-t-il sèchement en se dégageant. Ça sert à quoi de se trouer le cul à étudier presque dix ans pour voir des gens – des êtres humains, avec une famille et une vie qu'on leur avait promis de leur rendre – mourir sous nos yeux ?

Ses yeux s'humidifient alors qu'il lâche dans un souffle :

— On lui a promis la vie, et nous l'avons tué.

— Matthew, arrête. Tu n'es pas un dieu. La médecine est complexe et exercer dans ce milieu est bien plus dur qu'on ne le pense. Vous avez tenté d'offrir une chance à un homme qui était déjà condamné.

— Et maintenant, il est mort et il n'a même pas eu la chance de dire au revoir à ses proches.

— Qu'est-ce que tu en sais ? murmuré-je du bout des lèvres, inquiété par la détresse de mon ami.

— Quoi ? grogne-t-il en plaquant ses paumes contre ses yeux rougis par l'épuisement et les sentiments qu'il retient.

— Peut-être qu'il avait déjà fait ses adieux.

Matt se redresse pour me fusiller du regard mais je ne me démonte pas. Je ne m'arrêterai pas de parler tant que sa culpabilité ne s'allégera pas.

— A ce que je sache, il a consenti à cette opération. Ni toi, ni aucun autre médecin ne l'y a forcé. Il était forcément au courant de sa condition et il savait les risques qu'il encourait. Vous ne l'avez pas tué, Matt. C'est son corps qui l'a abandonné.

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