Chapitre 24 - Nora

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Un joli soleil brille au-dessus de ma tête. Il est comme un cerf-volant : peu importe où je me trouve, il me suffit de lever les yeux vers le ciel pour le retrouver. Même si ce n'est pas une très bonne idée... j'ai toujours mal aux yeux, quand je fixe le soleil trop longtemps. Je suis rappelée à l'ordre par une voix familière à quelques mètres de moi. Je me concentre sur le champ de Grand-Pa et Grand-Ma, et m'élance entre les tournesols pour y trouver la meilleure des cachettes. Les fleurs sont hautes, bien plus hautes que moi. Papa et maman ne me retrouveront pas. Je gagnerai cette partie de cache-cache.

Nora ! Nora ! On arriiiiive, chantonne la voix de maman.

Un éclat de rire franchit mes lèvres. Je presse mes petites mains sur ma bouche quand je réalise que ce son les aidera à me retrouver. Je me mords les joues pour m'empêcher de recommencer, et continue de courir sans jamais m'arrêter. A cause de toutes les distractions que je rencontre un chemin – comme une abeille toute jaune et noire - je ne vois pas le piège que me tend un trou creusé dans la terre. En quelques secondes, je suis propulsée au sol. Tant pis ! Je n'ai pas le temps pour les larmes, j'entends déjà papa et maman se rapprocher de moi ! Je me remets rapidement debout, et décide de tourner à gauche pour m'éloigner de la maison...

Je t'ai trouvée, ma chérie ! s'écrie maman en m'attrapant par la taille, sans se soucier de nous faire tomber dans son élan.

Je me mets à rire aux éclats. Je suis si heureuse. De passer le week-end chez Grand-Pa et Grand-Ma, que papa et maman acceptent de jouer avec moi, que le soleil brille dans le ciel.

Je suis heureuse d'être chérie par cette femme qui représente tout, absolument tout, pour moi.

Je t'aime, Nora, murmure maman dans mes cheveux alors que papa arrive jusqu'à nous, avec un peu de retard.

J'entoure mes petits bras autour des épaules de la femme qui m'a donné la vie, et repose ma tête dans le creux de son cou. Je ferme les yeux pour profiter un petit peu plus longtemps de ce moment.

Moi aussi, je t'aime, maman.

***

Je t'aime, Nora.

Moi aussi, je t'aime, maman.

Mon cœur explose lorsque je me réveille. Des larmes roulent le long de mes joues alors que ces deux phrases se répètent en boucle dans mon esprit, sans que je ne parvienne à les chasser. Ces mots ont été prononcés par ma mère il y a une éternité. Et pendant cinq ans, j'ai attendu le moment où je les réentendrais. Où elle m'offrirait le droit de les lui redire.

Ce matin, je fais le deuil de cet espoir. Je fais le deuil de ma propre mère. J'accepte que ce n'est pas un seul de mes parents qui est enterré six pieds sous terre à plusieurs kilomètres de moi, mais bien les deux. Maman est morte le jour où papa est parti.

Les sanglots nouent ma gorge et secouent mes épaules. Je me mords les lèvres pour rester silencieuse, mais c'est inutile, puisqu'Isaac n'est pas là. Est-ce seulement pour lui que je cherche à enterrer mes émotions au fond de mon cœur ? Je suppose que non. Je ne suis pas prête à entendre le bruit que provoque l'explosion de mon cœur en mille morceaux. En milliards de morceaux.

***

Mes yeux s'ouvrent pour accueillir la journée une deuxième fois. Épuisée par la tourmente de mes émotions, je me suis rendormie au milieu de mes larmes. Il me faut d'ailleurs bien plus de temps pour émerger, maintenant. Le souvenir de la veille me percute avec une douceur tortueuse. Les images de ma rencontre avec ma mère me reviennent en tête une par une sans se bousculer, mais elles me bousculent, parce que j'aurais souhaité les oublier à jamais. Vivre un drame n'est-il pas déjà suffisamment douloureux pour que l'esprit se charge de nous en épargner les détails ? De toute évidence, non.

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