Chapitre 6 - Nora

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Je replie mes jambes contre moi dans l'espoir de repousser le malaise qui me saisit.

La musique est trop forte.

Les corps, trop nombreux.

Je cherche autour de moi des visages familiers qui pourraient m'aider à ralentir le rythme effréné de mon cœur. J'ai besoin de m'ancrer dans une réalité douce et rassurante pour reprendre le dessus sur mon angoisse. Une soirée n'était pas l'idée du siècle pour me faire oublier la peine de n'avoir plus aucun parent, et ce, depuis que ma mère a exprimé son souhait de me déshériter il y a sept jours.

Mais Aaly fête ses vingt-deux ans, et pour rien au monde je n'aurais loupé l'anniversaire de ce soleil qui me maintient en vie. Même si la douleur est ce soir plus forte que la joie, j'ai conscience que c'est un faible effort à fournir pour remercier mon amie de tous ces combats qu'elle mène à mes côtés depuis si longtemps.

Lorsque Somewhere Only We Know éclate autour de moi pour la seconde fois de la soirée, je m'affale contre le canapé bleu où j'ai élu domicile depuis... une éternité. Un regard circulaire m'indique que ni Aaly ni Susie ne sont à la portée de mes yeux. Je rabats mon attention sur le téléphone qui glisse discrètement sur ma cuisse. Je le rattrape avant qu'il ne touche le sol, et le déverrouille machinalement en me confrontant une fois encore à son interface vide.

C'est officiel. Oliver nous a oubliés.

Aaly, cette soirée...

Moi.

Il aurait dû arriver il y a déjà deux heures, et il ne daigne même pas m'envoyer un message pour me poser un lapin dans les règles de l'art. Je le déteste quand il revient sur ses engagements, mais ce que je déteste encore plus, ce sont ses silences.

Est-ce qu'il va bien ? A-t-il eu un accident ? Devrais-je appeler tous les hôpitaux de la ville pour m'assurer qu'il est encore en vie ?

Je laisse échapper un soupir fatigué. Je n'ai pas la place pour davantage d'inquiétude dans ma vie.

Mon attention est réveillée par le groupe d'étudiants bruyants - je ne sais même pas comment mon amie les connaît - qui quitte la terrasse monopolisée depuis une éternité. Elle reste vide plusieurs minutes, comme une jolie invitation à la rejoindre pour que notre solitude respective trouve oreille attentive auprès de laquelle pleurer.

Je me redresse avec précipitation, sans m'accommoder des regards surpris qu'on me lance. Un clignement de paupière plus tard, me voilà dehors. J'accueille la brise glaciale du vent comme une vieille amie, alors qu'elle rafraîchit mes joues instantanément. Cela me fait du bien, m'aide à tempérer le feu qui me consume. Je regrette de ne pas pouvoir allumer une cigarette, comme le font tant de gens quand ils sont stressés. Je ferme les yeux pour me concentrer sur ce geste mécanique, sur une fumée imaginaire remplissant mes poumons, noircissant un petit peu plus ce qui me sert d'âme.

Je n'ai fumé qu'une seule fois dans ma vie, quand j'avais dix-neuf ans. J'étais curieuse de découvrir ce péché auquel s'abandonnent tellement de monde sans se soucier des conséquences néfastes qu'elle peut entraîner sur notre santé, sur notre vie. L'expérience n'a pas été un franc succès ; j'ai fait une crise d'asthme pendant au moins quatre jours suite à cela.

Je me rapproche de la rambarde et prends appuie sur celle-ci. Mon regard se perd à l'horizon, sur le bout de la Tamiseque je parviens à discerner depuis le balcon. Il n'y a pas à dire, l'appartement de mes amies est une petite merveille. La carrière de football de Susie s'est envolée il y a deux ans quand elle a signé un contrat pro dans le réputé club féminin de la capitale, et Aaly n'a jamais été aussi épanouie dans son travail. Sa boîte connaît un essor considérable depuis dix mois, et ne cesse de multiplier les partenariats aux quatre coins du monde.

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