Chapitre 4 - Nora

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— Salut, maman.

Ce mot semble si étrange quand il sort de ma bouche. Je ne l'avais pas prononcé depuis longtemps, et je doute qu'il soit dorénavant approprié. La femme pâle et fébrile qui se tient devant moi, utilisant ses deux yeux comme des fusils ayant le pouvoir de me tuer sur place, ne présente aucun instinct maternel envers sa chère et tendre fille.

— Va-t'en.

Je ne suis pas impressionnée par la sécheresse de sa voix et j'ignore les battements frénétiques de mon cœur qui m'annonce que la chute est imminente, et que si je continue à jouer avec le danger, il finira tout simplement par lâcher.

— Nous avons besoin de parler avant. Ce ne sera pas long.

— Je ne veux pas te parler.

J'expire toute ma frustration, puisant dans des ressources surnaturelles la patience d'affronter tout cela. Les rôles sont échangés ; je dois épargner ma mère alors qu'elle ne se gêne pas pour pourrir sa foutue fille.

Si tu ne voulais pas d'enfant, t'avais qu'à avorter maman.

— Je ne partirai pas tant que tu ne feras pas un effort. Je te demande quinze minutes, seulement quinze minutes. Ensuite je partirai et tu seras libre de ne plus jamais me revoir.

— Je te déteste, Nora, assène ma mère en tentant de se redresser. Dégage de ma vue maintenant.

Je déglutis en pesant le pour et le contre de la situation. Si je parviens à vaincre mon envie de fuir à l'autre bout du monde, cet enfer prendra fin dans quinze minutes. Si je fuis, je devrai revenir.

— Les médecins disent que si tu continues sur ta lancée, tu pourras bientôt sortir, l'informé-je en relevant fièrement la tête. Tu as fait beaucoup de progrès et avec un suivi régulier, ils acceptent de te faire sortir le mois prochain.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? crache-t-elle. C'est à cause de toi si je suis là.

Je reste silencieuse. Il m'est dur de lui donner tort quand j'ai en effet contacté l'hôpital pour que ma mère soit prise en charge, il y a plus de deux ans. Après l'événement tragique qui a bouleversé notre vie à toutes les deux, sa santé mentale s'est détériorée sans que je ne parvienne à la sauver. Elle était en train de se détruire, et je ne pouvais pas me résoudre à voir partir le seul parent qu'il me restait sans rien faire.

— J'ai fait ce qui était mieux pour toi... tenté-je d'argumenter en passant une main sur mon visage épuisé.

— Non ! hurle-t-elle en sortant finalement de son lit. Tu as fait ce qui était le mieux pour toi, comme toujours ! reprend-elle en s'avançant vers moi, alors que je recule doucement. Tu fuis quand on a besoin de toi, et tu nous as laissés tomber ! Lui, puis moi ! Qui sera le prochain ? As-tu ne serait-ce qu'une personne dans ta vie, aujourd'hui ? Ou as-tu montré ton vrai visage aux autres comme tu me l'as montré à moi ?

Mon dos rencontre la surface glacée de la porte, et je suis incapable de bouger. Mes yeux s'agrandissent d'horreur alors que les mots de ma mère font leur chemin jusqu'à mon cerveau. Je cligne des yeux une fois, deux fois, trois fois, mais elle ne disparaît pas. Tout est réel. La douleur ravivée par ces vérités l'est encore plus.

Keith finira par me renvoyer. Il ne peut en être autrement. Je vais bientôt perdre Oliver. Il finira par se rendre compte que je ne vaux pas la peine qu'il m'offre son amour. J'attends le jour où Aaly m'annoncera qu'elle part construire sa vie avec Susie, à des milliers de kilomètres de moi.

Je redresse ma tête vers ma mère, prête à réclamer un temps-mort, quand elle assène sa dernière carte :

— Arrête de te demander pourquoi cet Isaac t'a abandonnée. Personne ne voudrait de quelqu'un d'aussi misérable que toi.

Nos Combats PerdusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant