Chapitre 2 - Isaac

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— Alors, cha fait quoi de côtoyer l'continent Européen et l'plus belle ville du monde ?

Pour l'instant, Matthew ? Un mal de ventre atroce qui va bientôt me faire vomir mes boyaux et mes tripes.

Je bois une gorgée de café brûlant en inspirant une grande bouffée d'air pour que l'odeur amère de ma boisson imprègne mon nez. Mon colocataire des prochains mois a eu la brillante idée de se cuisiner une montagne d'œufs brouillés assaisonnée de marmite, alors qu'il n'est pas encore neuf heures. Je dissimule avec toutes les peines du monde un haut le cœur lorsque mes yeux se posent sur cette pâte à tartiner noire qui dégouline le long de ses lèvres.

C'est tellement immonde.

— Tu en veux un peu ? me propose le jeune homme en constatant que je le fixe depuis trois minutes.

Je secoue la tête avec véhémence, pris de panique. Je préfèrerais m'arracher la langue plutôt que de goûter une nouvelle fois à cette horreur. Matthew a cherché à m'empoisonner le lendemain de mon arrivée sur ce nouveau continent, et il est hors de question que je lui réaccorde ma confiance de sitôt. Je tiens trop à ma vie pour lui offrir une chance de la menacer. Surtout depuis que j'ai mis les pieds à Londres...

J'ai emménagé dans cet appartement il y a un petit moins d'une semaine en répondant à une annonce de colocation sur un site immobilier. L'appartement de Matthew se situe en plein cœur de la ville, à respectable distance de notre école de médecine. Depuis ma chambre, j'ai une vue imprenable sur la capitale britannique, de nuit comme de jour. Admirant tantôt l'orange des feuilles, tantôt la lumière timide de la nuit, Londres s'est déjà imposé à moi dans toute sa splendeur.

Je reste au Royaume-Uni l'année entière afin de terminer mon cursus de médecine. Je touche mon rêve de gosse du bout des doigts. Bientôt, je serai un médecin diplômé et j'arpenterai le monde pour venir en aide à tous ceux qui en ont besoin, mais qui ne peuvent se permettre de réclamer un soutien financier pour préserver leur santé.

Et bientôt, je l'espère, ma vie reprendra la trajectoire dont j'ai dévié il y a cinq ans.

Mille huit cent cinquante jours ont passé, et son sourire m'obsède toujours autant.

Je voulais que le destin sauve cette histoire d'amour une fois tout danger écarté, mais il n'a pas été très coopératif jusque-là. Alors, je lui ai donné un coup de pouce en reprenant ma vie en main. Depuis deux ans, j'envisage d'être muté à Édimbourg pour y retrouver Eleanora. Je sais très bien ce qui m'a retenu dans ce projet audacieux. La crainte qu'elle ait reconstruit sa vie, et qu'elle ne veuille plus jamais entendre parler de moi.

Il y a six mois, mes plans ont été définitivement bouleversés. Le signe du destin que j'attendais s'est enfin présenté à moi, sous une tempête de cheveux blonds et de bonne humeur totalement inattendus. Je m'étais réveillé ayant pour seul espoir de parvenir à terminer ma course dans le cadre du marathon annuel de Boston, auquel je participe avec d'autres étudiants de Harvard depuis quelques années. Et pourtant, ce soir-là, je me suis endormi avec l'écho d'une promesse au coin des oreilles et la vision d'un sourire au fond de mon imagination.


***


Les hurlements augmentent lorsque je franchis la ligne d'arrivée. Le public acclame proches et inconnus avec la même énergie, et je crois que c'est cette effervescence humaine qui m'a le plus attiré au départ dans cette épreuve physique et mentale.

Je passe une main sur mon front pour en dégager les gouttes de sueur, et cherche du coin des yeux le tableau où sont affichés les scores en fonction des numéros de brassard. Il me faut quelques secondes pour retrouver le mien, et un sourire satisfait m'échappe lorsque je vois s'afficher le temps que je redoutais tant. J'ai terminé ma course en moins de trois heures cette année, ce qui est de loin le meilleur résultat que j'ai obtenu jusque-là. Le chiffre n'est pas excellent, mais il me rend fier. Dans ce genre d'évènement intense, ne pas déclarer forfait est la plus grande victoire que je cherche à obtenir. Mais je ne peux pas nier que ce que je lis sous mes yeux gonfle mes poumons de bonheur. J'améliore mon score d'une dizaine de minutes chaque année, ce qui relève pratiquement du miracle. Je suis satisfait de remarquer que mes efforts physiques fournis à l'année paient.

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