Chapitre 20 - Nora

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Deux heures plus tard, nous sommes de retour à l'appartement. Je me sens tellement plus légère que lorsque nous en sommes partis, comme si j'attendais depuis deux ans de me délester de ce poids énorme qui me comprimait la poitrine. Durant mon monologue improvisé, Isaac ne m'a pas lâché une seule fois. Il m'a écoutée, il m'a soutenue, et même lorsque la neige s'est transformée en pluie et que le bon sens aurait voulu que nous rentrions nous mettre à l'abri quelque part... il est resté.

Il n'a pris la parole qu'une fois que tous les mots eurent quitté mon cœur pour se matérialiser dans les airs.

— Ne vous en faites plus, monsieur. Aujourd'hui, je veille sur votre fille comme elle veille sur moi.

J'ai baissé mes dernières résistances pour offrir à mes larmes leur liberté.

Et maintenant qu'Isaac tourne la clé dans la serrure de l'appartement pour que nous retrouvions notre petit cocon d'amour... je sais à quel point les mots présentés à mon père sont empreints de sincérité.

Je suis heureuse.

La porte s'ouvre, et je passe devant Isaac lorsqu'il m'invite à entrer. Je me débarrasse de mon manteau pour le faire sécher le plus rapidement possible, mais je m'immobilise avant d'avoir terminé la tâche. Des éclats de rire s'élèvent du salon, mais ils me sont totalement étrangers. S'ils n'appartiennent ni à Matthieu, ni à Gina, ni à Isaac... Je jette un regard inquiet à ce dernier, mais j'ai la surprise de découvrir un grand sourire sur ses lèvres.

Qu'est-ce qui est en train de se passer ?

Je fais mine d'avancer pour mettre des visages sur cette voix, mais je n'ai pas le temps de faire deux mètres qu'une furie me saute dessus. J'ai un mouvement de recul, et écrase les orteils d'Isaac sans faire exprès. L'inconnue est une jeune femme d'une vingtaine d'année, aux cheveux noirs et aux yeux fins. Manifestement, elle me rappelle quelqu'un...

— Toi, tu dois être Eleanora ! s'écrie-t-elle en souriant de toutes ses dents, et en se retenant visiblement de sauter dans mes bras.

Son visage, sa voix, sa présence, mon prénom... j'ouvre grand les yeux, lorsque je prends conscience que la jeune femme n'est autre que la grande sœur d'Isaac. Lana, je crois.

Je réprime un rire nerveux en me passant une main dans les cheveux.

— Qu'est-ce qui m'a trahie ?

— Ta chevelure de feu. Et le sourire profondément niais qu'affiche mon frangin dès qu'il te regarde.

Le doute n'est donc plus possible, la magnifique jeune femme qui se dresse fièrement devant moi est la sœur de mon copain. Je me décale pour qu'il puisse la rejoindre, et la serrer dans ses bras comme il se doit après des mois de séparation. Son visage n'affiche pas la même surprise que moi, j'en déduis donc qu'il était au courant de sa venue. Peut-être même me l'avait-il dit ? Ma mémoire a tendance à me jouer de mauvais tours ces temps-ci, à cause de tous les changements impromptus qui sont si brusquement survenus dans ma vie au cours des dernières semaines.

— Eh, rétorque Isaac en fronçant les sourcils de manière totalement adorable au cours de leur étreinte, je n'ai pas de sourire...

— Oh que si ! le coupe Lana en lui tirant la langue.

Elle consent à lâcher son frère après une longue étreinte, et reporte ses yeux bleus vers moi.

— Alors, Nora, tu te plais à Londres ? Je me doute que ça ne doit pas trop te dépayser par rapport à Édimbourg mais...

— Lana, laisse-la un peu respirer, l'interrompt Isaac en l'attrapant par le bras pour la forcer à rejoindre le salon.

— Hors de question. Tu m'as bien trop parlé de cette jeune inconnue pour que je retarde les présentations une seconde de plus.

— Tu vas la faire fuir, râle-t-il en m'adressant un regard d'excuse alors que la situation m'amuse en réalité beaucoup.

— Isaac, mon petit Isaac, elle a accepté de te supporter toi, le taquine Lana en lui tapotant la joue. Elle se fera sans mal à ma compagnie. On sait tous les deux que chaque fratrie n'est composée que d'un enfant parfait, et malheureusement, ce n'est pas toi.

— T'es juste le prototype, Lana, le second est toujours mieux réussi.

— Tu es la roue de secours, tu veux dire !

— Tu ne m'avais pas manqué, réplique Isaac alors que tout dans son comportement prouve le contraire.

Lana s'affale dans un fauteuil alors que son frère s'assoit sur l'angle du canapé. Je décide de le rejoindre, et trouve une place discrète à ses côtés pour mieux observer cette querelle entre frère et sœur.

— Ptit menteur, je sais que je te manque tous les jours, contre-attaque Lana en croisant les bras contre sa poitrine.

Elle est perspicace, déjà.

— C'est ta cuisine qui me manque, nuance Isaac alors que je roule des yeux.

Est-ce réellement si dur de dire à une personne qu'on aime qu'elle nous manque ? Que son absence est une douleur qui n'est palliée que par les retrouvailles ?

— Ptit con.

Je dévisage Lana avec des yeux ronds, avant qu'un rire ne s'échappe de mes lèvres. Je le dissimule rapidement derrière ma main, et attend que la prochaine joute verbale soit lancée. Isaac se creuse les méninges pour trouver une réplique à la hauteur de l'insulte, mais aucune inspiration ne lui vient. Je comprends que j'endosse le rôle de juge lorsque leurs deux regards identiques se posent sur moi.

Je hausse les épaules, comme si la victoire était évidente.

— Lana a gagné.

— Quelle trahison, s'offusque mon copain en adoptant un air vexé qui ne lui va pas du tout.

— Solidarité féminine, nuance Lana en s'étirant.

Objectivité, c'est tout, ris-je aux éclats.

Les deux autres m'imitent, et il faut de longues secondes avant que le calme ne refasse son chemin vers l'appartement. Isaac essuie quelques larmes rebelles qui se sont échappées de ses yeux, avant de se tourner vers sa sœur.

— Alors, cette surprise ?

Le visage de Lana se transforme en une allégorie de la joie. Je n'ai jamais vu un visage aussi rayonnant.

— C'est... c'est incroyable, Isaac. Adri a vraiment bien réussi son coup ! Je n'ai su qu'on partait pour Londres qu'une fois l'avion dans les airs !

Adri est le fiancé de Lana, si je me rappelle bien. Et le meilleur ami d'enfance d'Isaac.

— Où est-il, d'ailleurs ? s'enquiert mon copain en jetant un coup d'œil dans notre dos, comme si cela avait le pouvoir de faire apparaître son ami.

— Il vient de partir prendre une douche. Matt l'a accaparé pendant près d'une heure avant de devoir filer à un repas de famille avec cette charmante Gina. Il est bavard, ton colocataire, s'amuse Lana sans qu'aucun jugement ne transperce dans sa voix.

Isaac lui sourit.

— En effet, il l'est.

Je les observe continuer de parler avec toute la complicité qui caractérise un frère et une sœur. J'en viens à regretter d'être fille unique. Peut-être que si j'avais eu une âme avec qui partager chaque moment important de ma vie, alors la joie aurait été plus forte et la douleur plus douce ?

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