Prologue

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« Il faut voyager pour apprendre ».

Cette citation savante, écrite par un célèbre écrivain anglais dont j'avais bêtement oublié le nom, ne cessait de tournoyer dans mon esprit depuis mon arrivée impromptue en Namibie. Il était évident que ce voyage un petit peu fou entrepris à l'autre bout du monde avait fait évoluer mon rapport à la vie. Il m'avait enseigné ce qu'aucun cours n'aurait pu, et donné de nouvelles armes précieuses pour affronter mon quotidien.

Toutefois, je n'étais pas sûre d'être totalement d'accord avec cet auteur. L'apprentissage était infini, et ne pouvait pas seulement se définir par un déplacement hasardeux autour de la planète. Combien de livres m'apportèrent les réponses à des questions trop souvent familières à mon cœur ? Combien de voyages permettraient de concurrencer les connaissances acquises les premières années de notre vie au sein d'établissements scolaires ?

Non, il ne faut pas voyager pour apprendre, aurais-je rétorqué à ce cher monsieur si j'avais eu la chance de le rencontrer. Il faut voyager pour comprendre.

Je suppose que l'homme de lettre aurait ri à l'entente de cette phrase dont le sens rejoignait de près le sien. La littérature était cependant suffisamment exigeante pour qu'un mot bouleverse un tout, et je pense qu'un homme ayant voué sa vie à l'écriture aurait compris – peut-être mieux que quiconque – la nuance que je souhaitais apporter à son discours.

Le voyage n'était pas la clé de la réussite, mais je ne pouvais me résoudre à croire qu'il ne représentait rien, quand il m'avait tout apporté. La Namibie ne m'avait pas enseigné mille choses. En revanche, elle m'avait sauvée. J'en étais totalement convaincue.

Je me laissai tomber dans l'herbe fraîche en fermant les yeux. La caresse des fleurs sur mes jambes dénudées me tira un soupir, même si je fis l'effort de redescendre ma robe pour qu'elle recouvre la plus grande partie de ma peau. Les nuits namibiennes étaient plus froides qu'il n'y paraissait, et je ne souhaitais pas accueillir mon retour en Ecosse par un rhume qui aurait raison de ma volonté.

En cette soirée festive, j'étais reconnaissante d'avoir trouvé un moment de calme pour me retrouver face à moi-même. Face à mes doutes, mes peurs, mes colères.

Pour célébrer une dernière fois tout ce que j'avais gagné en venant ici.

Et de pleurer tout ce que j'allais perdre, en retournant là-bas.

Pourtant... Mes yeux verts s'ouvrirent en grand, malgré les larmes qui s'en échappaient, en quête d'un nouvel espoir. Je souris à l'astre lumineux qui accompagnait chacune de mes nuits. Notre échange silencieux se prolongea. De longues minutes, une heure peut-être. La musique changea mille fois de mélodie au cours de cette promesse que je nouai avec la lune. Après tout, elle était la seule en mesure de m'offrir cette constante dont j'avais désespérément besoin : celle de me suivre dans toutes les nouvelles aventures qui m'attendraient.

Les étoiles brillaient de toute leur splendeur. Ce n'était pas un spectacle rare sur cette plaine, mais c'était une vision dont je ne me lassais pas. Je cherchai à repérer le plus de constellations possibles, enivrée par la douceur namibienne. Le rêve prendrait bientôt fin ici, mais je nourrissais l'espoir qu'il me survivrait ailleurs. Après tout, la Namibie m'avait offert le cadeau le plus précieux que j'étais venue y chercher.

La résilience.

Je me redressai sur les coudes, afin que mon regard se pose sur l'horizon que j'imaginais par-delà l'obscurité. Un horizon qui me captivait tant. Qui ne souffrait aucune frontière. Le fleuve Orange, ce magnifique précipice d'eau qui traçait les contours sud du pays pour montrer à tous sa force et sa beauté, se reposait à quelques kilomètres de moi. Les dunes rocailleuses, caractéristiques des paysages arides de l'Afrique, auraient été discernables à perte de vue si la lune avait laissé sa place au soleil. Cet endroit onirique, coupé du monde et de ses préoccupations douloureuses, était devenu mon ancrage. Je n'étais pas sûre d'être tout à fait prête à le quitter.

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