— Vous devriez revenir plus souvent mon garçon, ce n'est pas parce que nous sommes en fin de vie que nous devons punir nos yeux des beaux plaisirs !
J'adresse un sourire poli à la femme dont je viens de prélever quelques tubes de sang. Elle me noie de compliments depuis plus de cinq minutes, ce qui m'amuse plus que ça ne le devrait. Mon supérieur m'a annoncé qu'elle faisait du gringue à tous les médecins qui passaient pour faire enrager son mari qui ne se gêne pas pour faire de même aux infirmières.
— Quand aura-t-on les résultats ? s'enquiert ce dernier sans pouvoir s'empêcher de me fusiller du regard en serrant les poings.
Il ne pense quand même pas que je tente de séduire sa femme ? Je me montre courtois parce que c'est ce qu'on attend d'un médecin, c'est tout. Son épouse a l'âge d'être ma grand-mère, et quand bien même ce ne serait pas le cas, elle ne m'intéresse pas.
Je n'ai qu'une seule fille en tête depuis cinq ans.
J'arque un sourcil pour l'inviter à tempérer ses ardeurs, mais garde mes commentaires pour moi. Il n'y a rien que je ne pourrais dire qu'il ne sache pas déjà.
— Aujourd'hui si vous êtes chanceux, sinon il faudra patienter jusqu'à demain.
Ma patiente m'adresse un sourire pour me rassurer, et si je ne le lui renvoie pas, je suis tout de même heureux de voir que son visage a repris des couleurs. Elle a fait un malaise hypoglycémique il y a deux jours à cause de son diabète, ce qui l'a conduite d'urgence à l'hôpital. Elle semble aller nettement mieux aujourd'hui, mais seuls les résultats médicaux nous permettront de déterminer si elle peut, ou non, rentrer chez elle avant la fin de la semaine.
Je me redresse afin d'aller à la rencontre de mes nouveaux patients. Comme je suis encore en formation, j'occupe un poste polyvalent. Aidant les infirmières quand elles sont débordées, j'ai hâte que mon supérieur m'autorise enfin à le rejoindre dans le secteur d'étude des maladies développées dans les zones reculées du monde.
—Vous reviendrez ? insiste la femme lorsqu'elle réalise que je compte m'absenter.
Je me gratte le sommet de la tête en faisant mine de réfléchir après avoir rassemblé mon matériel médical et mes dossiers sous mon bras droit.
-—Je ne sais pas qui sera en charge à ce moment-là mais je vous garantis que vous serez entre de bonnes mains.
Je les salue une dernière fois avant de m'engouffrer dans le couloir qui grouille de monde. L'arrivée de l'hiver se fait ressentir dans l'hôpital et son activité – la majorité des chambres sont occupées pour cause de maladies comme la grippe ou la gastro ou à cause de dépressions saisonnières qui demandent bien plus que quelques examens pour être réglées.
J'admire le dévouement de mes collègues psychologues. Il est déjà difficile de sauver la vie de quelqu'un grâce aux années d'études et de pratiques nous ayant formés. Mais sauver la vie d'autrui en devant apprivoiser la personnalité de l'autre, s'armant de la plus grande patience pour tenter de comprendre des maux que nul ne peut connaître sans les avoir vécus ?
Je leur tire mon chapeau, vraiment.
Je suis déjà en retard de cinq minutes lorsque je croise Matt au carrefour d'un couloir. Il m'adresse un sourire et ralentit le pas lorsqu'il me repère, puisque nous nous dirigeons de toute évidence dans la même direction.
— Madame Durand t'as fait le coup du flirt devant son mari, hein ? s'enquiert mon ami en focalisant toute son attention sur des résultats d'analyse qui semblent le rendre particulièrement perplexe.
— Tu les connais ? me surprends-je à demander.
— Ils viennent régulièrement, m'informe Matt en saluant quelques collègues de la tête. Pas suffisamment pour remettre en cause la légitimité de leurs venues – enfin, surtout de la femme – mais assez pour se rappeler de ce couple et de leurs petites querelles.
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Nos Combats Perdus
RomanceIsaac et Nora se rencontrent par hasard au détour d'une mission humanitaire de trois mois en Namibie. Elle a dix-huit ans et veut révolutionner le monde. Il en a vingt et souhaite guérir tous ceux dans le besoin. Entre eux, l'amour devient synonyme...