Incroyable fiancé

chapitre I

« Tu es sûre que c’est ce que tu veux faire ? » me demanda Sarah en me serrant dans ses bras avant de me relâcher et me lancer un regard inquiet.

 Sarah, ma meilleure amie, était une personne qu’on pouvait aisément qualifier de « complètement flippée » aussi lui offris-je un sourire lumineux, tout en souhaitant de toutes mes forces qu’il suffirait à la rassurer.

— Mais oui, ne t’inquiète pas… je ne pars que dix jours ! ajoutai-je en voyant que malgré tout ce qu’on pouvait voir à la télé et dans les magazines, parfois, le sourire ne suffisait pas.

— Et si, tu rencontrais un iceberg ? Hein, tu y as pensé ? C’est dangereux ces machins, il n’y a qu’à regarder ce qui est arrivé au Titanic !

— Sarah…dis-je avec patience, nous sommes en 2014, les conditions de sécurité à bord des bateaux de croisière ne sont pas ce qu’elles étaient au début du XXe siècle et il y a assez de canaux de sauvetage. Promis, il ne m’arrivera rien.

— Et si tu tombais à l’eau ? On ne sait jamais, quelqu’un pourrait te pousser et… et …tu vas en Norvège ! Tu connais le temps de survie dans une eau aussi froide ? Pourquoi tu n’as pas annulé le voyage ?

Je levai les yeux au ciel, complètement effarée par les divagations de mon amie, qui était maintenant à la limite de l’hystérie. Sentant la lassitude s’installer, je lui souris une nouvelle fois et lui refis un gros câlin, seul moyen de faire tomber la tension qui l’habitait.

Sarah était une fille fantastique, super rigolote, intelligente comme pas deux, jolie comme un cœur, mais son côté sauvage et phobique avait de quoi décourager. D’une beauté que l’on ne pouvait pas ne pas remarquer – teint de porcelaine, cheveux flamboyants, yeux chocolat, elle ignorait le pouvoir de séduction qu’elle dégageait et semblait ne pas avoir conscience que beaucoup de femmes tueraient pour avoir un corps comme le sien. Mais Sarah semblait perdue dans une époque qui n’était pas la sienne, discrète incorrigible romantique, timide au-delà de ce qui est admissible. Le genre de fille qui passait beaucoup de temps cachée derrière un écran, ou en l’occurrence puisqu’elle y travaillait, bien cachée dans les rayonnages de la Bibliothèque François Mitterrand, section littérature du moyen âge. On pouvait parfois la croiser au hasard d’une allée, rangeant amoureusement les ouvrages à leur place, ou renseignant les étudiants qui avaient besoin de renseignements. Parler des chevaliers et autres tables rondes ou bien d’amour courtois et de quête mystique ne lui posait aucun problème. Nourrir des relations sociales normales avec des êtres humains, en revanche, relevait de l’exploit. Sauf en ce qui me concernait, mais comme elle me le disait souvent j’étais une exception.

— Je n’allais tout de même pas m’asseoir sur ce voyage sous prétexte que Paul m’a…

— Trompée ? Caché sa double vie ? Prise pour la dernière des imbéciles ? m’interrompit-elle, soudainement agacée.

— Est-ce vraiment nécessaire de me le rappeler ? Et tu aurais fait quoi, au juste ? criai-je presque.

Je sentis au début de migraine qui s’installait que la conversation allait tourner au vinaigre et je voulais à tout prix éviter de me montrer désagréable avec mon amie. D’accord, je traversais une période difficile sentimentalement parlant, ce qui expliquait pourquoi évoquer le sujet de ma rupture avec Paul me hérissait les poils et me donnait de l’urticaire. Mais aussi désagréable que ce soit, le rappel que m’en faisait Sarah n’était dû qu’à son inquiétude, aussi maladroitement exprimée soit-elle, aussi essayai-je de me tempérer. Elle n’y était pour rien. Mais sa réponse me fit grincer des dents.

— J’aurais annulé. À quoi bon faire ce voyage seule alors qu’il devait être ta lune de miel ?

— Dit celle qui a tellement peur de son ombre qu’elle est célibataire et encore vierge, lançai-je méchamment.