Chapitre 4

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En me levant le lendemain, je repensai au dîner chez ma grand-mère et grommelai. Et pour cause : nous étions samedi, un des rares pendant lesquels je ne travaillais pas. Aucun mariage de prévu, ni répétition de cérémonie. J'aurais pu aller au cinéma ou tiens, prendre un bain bouillant et délicatement parfumé, lire un bon roman ou traîner toute la sainte journée en jogging, mais non, mamie en avait décidé autrement. J'aurais pu ne pas me rendre à ce cours de cuisine, d'ailleurs j'avais envie d'y aller comme de me pendre, mais ... je devais faire plaisir à mon aïeule.

N'ayant aucune idée de comment se passait ce genre de choses, je me mis à la recherche de la carte de visite donnée par ma grand-mère.

« Cuisiner, c'est facile », c'était le nom de l'espèce de purgatoire dans lequel elle m'avait inscrite. Le nom était mignon, il sonnait bien à l'oreille. En même temps, si la boite s'était appelée « je suis nul en cuisine, mais je me soigne », pas sûre le chef cuisinier eût connu le succès dépeint par l'amie Renée.

Cuisiner, c'est facile, bonjour. Stéphanie à votre service.

OK. Hôtesse à la voix jeune et agréable, discours enjoué et à l'évidence, bien rodé. Un bon point pour eux.

— Bonjour. Je, heu... ma grand-mère m'a inscrite chez vous pour suivre des cours...

— Votre nom s'il vous plaît, mademoiselle ?

— Young. Aelynah Young, lui répondis-je un peu surprise.

— Très bien. Je vous laisse patienter quelques instants le temps de vous trouver sur la liste.

La liste ? Voilà qui faisait très sélect, très club privé. Toutefois, une question se posait : faisais-je partie d'une confrérie où seuls quelques élus avaient leurs noms inscrits dans un livre d'or ou plutôt d'un peloton de boulets incapables de faire cuire un œuf dur ? L'hôtesse, enjouée, ne me laissa pas le temps de m'appesantir sur le sujet.

— Très bien, Miss Young, merci d'avoir patienté. En effet, je vois que vous êtes prévue pour la soirée « Croque-Love » de ce soir. Vous avez aussi un crédit de quinze cours. Waouh ! Elle est généreuse votre grand-mère !

Ou alors elle est complètement désespérée devant mon incapacité à cuisiner quelque chose de mangeable, me dis-je, un peu agacée.

— Oui, elle tient à ce que je devienne un cordon bleu. Je suis persuadée que c'est peine perdue, mais je tiens à lui faire plaisir. Je peux vous poser une question ?

— Mais bien sûr, je vous en prie.

— Pourriez-vous me dire ce qu'est cette « soirée Croque-love » ? demandai-je, interloquée.

— Oh, on ne vous a pas mise au courant ? En fait, il s'agit d'un événement bimensuel. Deux fois par mois, nous donnons des cours de cuisine pour les célibataires.

Bah voyons ! Je pestai intérieurement contre ma grand-mère. Bien sûr qu'elle ne m'avait pas prévenue ! Elle savait d'ailleurs très bien pourquoi elle ne l'avait pas fait : j'aurais refusé catégoriquement. Merci mamie, d'essayer de me caser en me faisant prendre des cours de cuisine ! Comme si je n'étais pas assez grande pour me trouver un jules !

Sentant mon malaise, la jeune femme tenta de me rassurer.

— Vous savez, vous n'êtes pas obligée de repartir avec quelqu'un, vous n'êtes d'ailleurs pas obligée de venir du tout. Mais, vous risqueriez de manquer quelque chose, nos soirées célibataires sont très sympa, les gens s'y amusent bien.

— Je me doute bien, mais...

— Vous pouvez aussi amener quelqu'un, comme ça vous ne serez pas totalement en terrain inconnu, dit-elle rapidement.

Je pesai le pour et le contre. D'un côté je n'avais pas envie de me déplacer à une soirée rencontre, les plans arrangés n'étant pas ma tasse de thé. Mais ma grand-mère avait payé – je ne voulais pas savoir combien – et même si sa manie de se mêler de ma vie, tant sentimentale que « culinaire », m'horripilait au plus haut point, je n'aimais pas la décevoir. En outre, je pouvais venir accompagnée. Sarah allait adorer.

Je confirmai donc ma venue et celle de ma meilleure amie. Il ne me restait plus qu'à la convaincre, je composai donc son numéro de téléphone tout en réfléchissant à la meilleure façon de lui présenter la chose.

— Lynah ? Que me vaut ton coup de fil un samedi matin ? Un problème ?

Aïe ! J'aurais dû me douter qu'elle me poserait la question. D'ordinaire, lors de mes jours de repos, je ne donnais pas signe de vie avant la fin de l'après-midi, j'étais du genre à hiberner une bonne partie de la journée. J'avais des semaines assez chargées et la plupart de mes week-end, du vendredi au dimanche, étaient dédiés aux derniers préparatifs des cérémonies, quand je ne les supervisai pas. Je ne me plaignais pas de mon boulot, j'adorais ce que je faisais, j'avais un patron en or et des collègues super sympa, mais je devais avouer n'avoir que peu de temps pour moi. Alors, lorsque j'avais un jour de congé, j'en profitai pour recharger mes batteries.

— Non, ma belle. Aucun problème à l'horizon.

Je l'entendis pousser un soupir désabusé.

— Bon, que se passe-t-il ? Quand tu m'appelles « ma belle », c'est que tu veux me demander quelque chose. Et une fois sur deux, ça ne me plait pas. Alors accouche ! dit-elle d'une voix lasse.

— Mais non, ne t'inquiète pas... je voulais juste savoir si tu avais prévu quelque chose, ce soir ?

— Heu... non. Pourquoi ?

— Ça te dirait de m'accompagner à un cours de cuisine ?

— Ah chouette ! J'adore faire la popote ! s'exclama-t-elle d'une voie enjouée. Mais dis-moi, depuis quand as-tu l'envie de te mettre derrière les fourneaux ? Tu t'es auto-intoxiquée ?

— Non, non. Figure-toi que ma grand-mère m'y a inscrite sans m'en parler. Maintenant, je suis forcée de m'y rendre ? bougonnai-je en omettant de lui parler de la partie « rencontres entre célibataires ».

Sarah s'esclaffa.

— Sacré Irène ! Quand elle a une idée en tête, pas d'autre choix que d'obtempérer !

— C'est ça, moque toi ! râlai-je, déclenchant ainsi l'hilarité de mon amie.

J'aimais l'entendre rire, elle qui était toujours si timide et sérieuse. En outre c'était assez rare chez elle. Bien que la connaissant depuis des années et étant aussi proches que des sœurs, j'avais l'impression qu'elle ne s'autorisait presque jamais à se lâcher et je ne savais pas quelle en était la raison. D'ailleurs dès que j'essayais d'avoir une explication, elle se débrouillait toujours pour changer de sujet. Sarah, était quelqu'un de sincère, de fantastique, j'aurais pu lui faire confiance les yeux fermés. Mais elle était aussi très secrète, assez introvertie et avec l'expérience j'avais appris qu'essayer de l'amener à parler d'un sujet ou d'un autre contre sa volonté, risquait de la faire rentrer dans sa coquille.

— Alors, c'est d'accord ? Je peux compter sur toi ?

— Attends, je réfléchis... passer une soirée seule à la maison ou à un cours de cuisine à te regarder te battre en pleurant avec un oignon sur une mandoline ? Mon choix est fait, je ne veux pas rater ce spectacle ! répondit-elle avec un sourire dans la voix.

Nous décidâmes donc de nous retrouver directement à l'adresse de « cuisiner, c'est facile » le soir même, à 19 heures. Je raccrochai, un peu honteuse d'avoir menti à mon amie. D'accord, ce n'était pas vraiment un mensonge, j'avais juste omis de préciser certaines choses. Mais tout de même, comment Sarah allait-elle réagir quand elle découvrirait à quel genre de soirée je l'avais conviée ? Et si elle perdait ses moyens ? Et si après ce soir elle m'en voulait tellement de l'avoir entraînée à un meeting de célibataires, qu'elle ne m'adressait plus la parole ? Et pourquoi allais-je devoir mettre un oignon sur un instrument de musique ?

Xeo

Incroyable fiancéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant