[ Prologue ] Comme des poupées russes 3/3

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[ Quelque part dans la campagne de Yellowknife, Canada,
2015
03H33 ] 

III. Tatjana D'ANVAL ASLANA

Il fait sombre. J'ai les mains liées dans le dos, les yeux bandés et la bouche obstruée par un tissu. Je ne peux faire aucun bruit. Je suis ballottée comme une malpropre dans un coffre de voiture. J'ai été kidnappée pour qu'une rançon soit demandée à mes parents. Encore. J'ai essayé de compter les tournants du véhicule. La voiture s'arrête et je me cogne le front contre l'intérieur du coffre. Ce dernier s'ouvre, justement. La lumière fuse et on me tire violemment.

― Allez, viens là, ordonne une voix bourrue.

Je trébuche, me rattrape de justesse. On m'emmène dans un vieux bâtiment désaffecté, on m'assied sur une chaise et on m'y attache de nouveau avec de grosses cordes rêches.

Ils appellent mes parents. Je sais qu'eux se trouvent déjà en compagnie de négociateurs, à la maison, pour traiter du prix de ma survie.

Je n'ai même plus véritablement peur. C'est bien la quatrième fois que je me fais enlever dans ma jeune vie. Je n'ai même pas dix-neuf ans. Je vis toujours auprès de mes parents justement à cause de ce type de situation. Père et mère ne me laisseront jamais partir pour vivre de mes propres ailes. Il veulent que je fasse les études qu'ils souhaitent, que je travaille dans leur grande entreprise et que je fasse un bon mariage arrangé avec celui qu'ils choisiront afin que notre entreprise continue à prospérer. Bref. Ma vie était, est et sera toujours régie par eux. Je suis une poupée dont les fils sont reliés à leurs doigts sans que je ne puisse m'en défaire.

― M. D'Anval. J'ai votre fille. Je veux deux millions en liquide pour demain, sept heures.

Il me gifle. Je laisse échapper un cri puisque c'est ce qu'il veut.

― Vous avez entendu ? Faites c'que j'vous dis.

Il raccroche. Ils sortent. Je reste là pendant plusieurs heures, je ne sais pas exactement combien. Mon corps s'engourdit et me fait mal, comme si la pesanteur avait augmenté sans qu'on me mette au courant. Mais ce n'est pas grave. J'entends la porte se rouvrir. Quelqu'un enlève le bandeau de mes yeux. La lumière fuse, mes yeux retrouvent leur utilité.

Un homme cagoulé se tient devant moi avec un plateau repas. Il me détache de la chaise pour me lier les poignets avec des menottes. Mes os craquent et mes muscles me tiraillent lorsque je dois me lever pour m'installer sur un vieux matelas miteux, à même le sol. Il retire ce qui couvre ma bouche. Je ne le regarde pas, préférant fixer mes mains à la peau bronzée par le soleil estival.

― Allez, mange ça.

Je garde le silence en refusant de l'ouvrir. Il s'en va. Je ne touche à rien à part l'eau et m'endors simplement, immobile, silencieuse, les doigts tremblants. Il revient le lendemain avec le même plateau et remarque que je n'ai pas touché au précédent.

― Dépêche-toi. J'ai pas qu'ça à faire.
― Non.
― Dépêche-toi, dit-il en détachant les mots.

Je garde les lèvres résolument pincées et mon regard, perpétuellement vide, le reste. Malgré tout, je refuse de lui obéir et d'avaler la bouffe dégueulasse qu'il me présente. En un sens, je veux garder ma personnalité et ma dignité humaine.

― Salle petite gosse de riche.
Zatknis', idi na khuy*, dis-je d'une voix blanche.

Je lève un regard mort vers lui. Je vois dans ses yeux qu'il est un instant perturbé par mon expression. Ma grand-mère me disait autrefois que j'étais un rayon de soleil dès que je souriais. Mon prénom signifie « fée » dans beaucoup de langues slaves. Mais je suis morte à l'intérieur car je ne vis pas vraiment. Tout le monde croit que ma vie est parfaite, mais s'ils se trouvaient à ma place, ils voudraient s'en extirper aussi vite qu'ils y seraient venus. Je suis une poupée manipulée, un joli objet exhibé, un papillon dont les ailes ont été arrachées.

TRINITY - Tome 1 : Les humains viennent des étoiles. Et nous ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant