Voyage au centre du soleil

Chapitre 6 - Honnêteté, ou loyauté ?

Le réveil ne fut pas facile. Enfin, pas vraiment. Yona était une personne matinale, traînant rarement au lit. Quelques secondes lui suffisaient pour émerger, et attaquer sa journée par un bon petit-déjeuner. Mais là, les doutes la maintenaient sous les multiples couettes. Elle avait observé les rayons du soleil devenir de plus en plus forts, pénétrant maintenant la chambre sans problème malgré les volets rabattus. Finalement, la bûcheronne se décida à sortir, afin de profiter de la cuisine avant qu'elle ne ferme jusqu'au repas du midi.

Elle entreprit sa petite routine quotidienne. Un peu d'eau glacée sur le visage, puis un nettoyage vigoureux à l'aide de sa brosse à dents. Elle s'habilla par la suite, se passa rapidement une poignée de coups de peigne sur ses fins cheveux noirs dépassant à peine ses épaules, et quitta finalement sa chambre.

Une fois dans la salle commune, elle commanda le petit-déjeuner du jour, et attendit en observant la pièce. Il n'était pas vraiment tard, elle ne fut donc pas surprise de voir une dizaine de personnes concentrées sur leurs potages gras parfumés aux légumes. Le silence était seulement brisé par les bruits de cuillères contre la vaisselle en bois ainsi que les mastications. La légère activité de la cuisine participait également à l'ambiance, mais rien de très divertissant dans l'ensemble. Elle s'attarda donc un peu plus sur les clients. En face d'elle, un homme aux cheveux courts aussi noir que la nuit tirait une triste tête. Le visage creusé par la fatigue, il fixait de ses yeux petits yeux foncés sa cuillère qu'il soulevait avec un peu de nourriture dedans, la montait à peine au-dessus du bol, pour ensuite la laisser retomber mollement. Il réitéra l'opération dans une parfaite absence d'énergie assez de fois pour que Yona s'en lasse et tourne la tête vers l'autre côté de l'auberge. Une jeune femme se tenait accoudée à la fenêtre, le regard rêveur. Le reste de repas posé sur sa table indiquait qu'elle digérait tranquillement, et était prête pour une journée somptueuse. De belles et voluptueuses boucles dorées cascadaient le long de son corps fin. Ses yeux bleu clair allaient parfaitement au teint blanc de sa peau. Mais c'est surtout son sourire qui illuminait son visage. Haute en couleur de la tête au pied, un épais manteau rouge était plié sur la chaise voisine, ainsi qu'un chapeau à large rebord de la même couleur. Sa robe verte complétait avec élégance la tenue.

Elle interrompit son observation un court instant, le temps de récupérer le plateau qu'une serveuse lui apportait, un petit sourire de politesse étirant son visage. Après l'avoir remerciée, elle commença à manger, tout en revenant à son jeu d'analyse. Pas très loin de la femme de la fenêtre, un homme ratatiné sur lui-même ingurgitait avec une monotonie presque parfaite son repas. Chauve et boudiné, il avait l'air au bout du rouleau. Il but une gorgée d'eau, s'étouffa à cause d'une fausse route, et reprit une fois l'accident passé. En balayant l'assistance plus rapidement, elle remarqua que les trois femmes présentes illuminaient la pièce par leur bonheur, alors que la quasi-totalité des hommes montrait une tête d'enterrement. Sauf un, qui semblait manger avec une détermination sans faille. Aussi grand que Yona — un fait assez rare pour être noté —, il en demeurait même plus large. Taillés par l'effort, ses bras et son torse développés moulaient sa chemise. À tel point que la bûcheronne crut qu'elle allait craquer à tout moment. Une petite cicatrice lui barrait le bas de la joue gauche. Un accident de jeunesse, supposa-t-elle. Enfin, un sac de voyage également bourré au possible était calé contre les pieds de la table, une épée reposant dessus. Yona repensa aux paroles de la veille de maîtresse Leier. Les femmes semblaient des personnes bien plus épanouies que les hommes. Cela étant, l'échantillon qu'elle avait sous les yeux demeurait probablement le pire possible. Dans une auberge, les étrangers étaient légion, et du coup peu représentatifs de l'état d'esprit de la ville. De plus, moins de dix personnes ne pouvaient pas dépeindre une cité à eux seuls...