Voyage au centre du soleil

Chapitre 20 - Le doute permanent

Yona et Ries quittèrent la ville du progrès sans difficulté, et arpentèrent rapidement les marécages des alentours. Sans se presser, les deux compagnons n'avançaient pas à un rythme lent. Tous les deux ne tenaient pas spécialement à rester à portée des bandits qui les avaient attaqués un peu plus tôt dans la journée. Empruntant une des trois grandes routes commerciales qui partaient de Narvosing, ils allaient vers le sud, comme depuis le début de leur départ de Velore.

L'ambiance s'avérait pesante à tous les niveaux. Pour commencer, l'air était devenu bien plus épais qu'à Narvosing. Une humidité omniprésente s'était installée, à tel point que les voyageurs avaient l'impression de respirer de l'eau, tout en rendant la peau collante. À la fin de la journée, ils seraient totalement trempés, ça ne faisait aucun doute. Ensuite, leur vitesse était grandement diminuée par la nature du sol. Il s'agissait certes d'une route commerciale majeure, mais la cité n'avait pas encore mis à profit ses inventions pour la transformer. Ainsi, le pas si large chemin de terre se montrait toujours avec une fine couche de boue à la surface, rendant incertain le pas des chevaux. Et mieux valait aller lentement que de risquer que son destrier se brise une jambe. Ils n'avaient donc pas le choix, et progressaient tant bien que mal. De plus, cette atmosphère gagnait le cœur de nombreux insectes volants, qui n'hésitaient pas à partager leur bonheur avec les deux compagnons. Le marchand comme sa garde du corps passaient leur temps à battre d'une main pour éloigner telle ou telle créature, tandis que l'autre maintenait un tant soit peu les rênes des équidés. Mais le pire, c'était le silence qui régnait entre Ries et Yona.

La bûcheronne ne s'avérait pas encore prête à pardonner, loin de là. Les mensonges de son employeur vis-à-vis du but de leur voyage, son implication indirecte dans la mort de son meilleur ami, tout cela l'avait mise à cran. Et pour terminer, elle n'avait même pas eu le temps de pleurer sa perte que des brigands voulaient sa peau, la forçant à déguerpir au plus vite. Tout cela à cause d'elle ne sait quelle bêtise qu'il avait sûrement commise dans sa jeunesse. À croire qu'il avait passé sa vie à se créer des ennemis un peu partout sur le continent. Cela lui rappelait trop bien leur précédente aventure à Koud. Elle dédia quelques pensées à Eline, avant de se reconcentrer sur les environs.

À vrai dire, elle ne se focalisait pas vraiment sur les alentours. Du moins, elle y mettait toute son attention pour justement éviter d'autres sujets. Elle analysait les différents tas de mousses qui proliféraient çà et là, passant d'un vert lumineux à un jaune fade. Les arbres, tous aussi rachitiques, proposaient un triste spectacle sous le ciel sans nuages. On aurait dit que le Soleil les épuisait, les forçant à se courber tels des vieillards. Les températures auraient sûrement été agréables, si cette humidité ne gardait pas toute la chaleur. Quelques minuscules lézards sortaient de leurs cachettes le temps de quelques secondes à peine, avant de se réfugier à nouveau sous une pierre ou un tronc d'arbre mort. Il y avait aussi des oiseaux assez petits qui restaient assez haut dans le ciel pour éviter cet air étouffant. Le plus gros que Yona vit — et surtout le seul qu'elle reconnut — fut un corbeau. Étrangement, il ne remontait pas vers Narvosing, et ne gagnait pas non plus le sud. C'était comme s'il voulait s'éloigner des montagnes du Graf, et de leur teint uniformément gris. Il faut dire que de ce qu'elle en savait, ces montagnes avaient la réputation d'être maudites, et que rien de vivant ne le restait très long sur ces terres. Que ça soit vraiment ou non, il y avait sûrement des lieux pour agréables pour un volatile.

Elle tourna la tête pour regarder de l'autre côté, et elle vit malencontreusement Ries, ce qui lui fit échapper un soupir. Elle ne savait plus du tout quoi penser de son employeur. Depuis ses révélations, elle se repassait en boucle tout ce qu'ils avaient vécu depuis qu'ils s'étaient rencontrés. L'avalanche, le voyage jusqu'à Cascade, la découverte de Koud et le cambriolage, les malheurs à Newels, et pour finir le lac gelé et la tragédie à Narvosing. Ce qu'avait dit le marchand collait parfaitement avec leurs aventures. Et quand elle y réfléchissait, cela paraissait logique de ne pas tout révéler au début. Se présenter en tant que marchand itinérant s'avérait bien plus crédible qu'élu des dieux. Mais pourquoi ne pas lui en parler dès Koud ? L'aurait-elle pris pour un fou à l'époque ? C'était bien possible tout compte fait...